Page 324 - Les fables de Lafontaine
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318          FABLES. — LIVRE HUITIÈME
        « Certes, dit-il, mon père était un pauvre sire * :
        Il n’osait voyager, craintif au dernier point.
        Pour moi, j’ai déjà vu le maritime empire ;    15
        J’ai passé les déserts, mais nous n’y bûmes point s. »
        D’un certain magister *, le Rat tenait ces choses
                Et les disait à travers champs *,
        N’étant pas de ces rats qui, les livres rongeants 4,
                Se font savants jusques * aux dents.   20
                Parmi tant d’huîtres toutes closes,
        Une s’était ouverte, et, bâillant au soleil,
                Par un doux zéphyr * réjouie,
        Humait l’air, respirait, était épanouie,
        Blanche, grasse, et d’un goût, à la voir, non pareil *.   25
        D’aussi loin que le Rat voit cette huître qui bâille :
        « Qu’aperçois-je? dit-il, c’est quelque victuaille!
        Et, si je ne me trompe à la couleur du mets,
        Je dois faire aujourd’hui bonne chère * ou jamais. »
        Là-dessus, maître Rat, plein de belle espérance,   30
        Approche de l’écaille, allonge un peu le cou,
        Se sent pris comme aux lacs * : car l’huître, tout d’un coup,
        Se referme. Et voilà ce que fait l’ignorance.

        Cette fable contient plus d’un enseignement :
                Nous y voyons, premièrement,           35
        Que ceux qui n’ont du monde aucune expérience
        Sont, aux moindies objets *, frappés d’étonnement ;
                Et puis, nous y pouvons apprendre
               Que tel * est pris qui croyait prendre.

          Exercice complémentaire. — Faites le portrait du voyageur
        naïf qui s’étonne de tout et se laisse voler par tous.





          3.  Ce dernier hémistiche est une citation de Rabelais (I, 33) assez
        mal placée, d’où le vers suivant. — 4. Accord du participe présent,
        29, p.
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