Page 319 - Les fables de Lafontaine
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LES FEMMES ET I.E SECRET          3'3


              6.  — LES FEMMES ET LE SECRET

        Sources. — Abstémius ; Rabelais (III, 34) ; Noël du Fail
      (Eutrapel, 33).
       Intérêt. — Conte satirique, contre les femmes (et même les
      hommes) bavards. Modèle de vivacité malicieuse et de naturel,
      à comparer avec les contes de Rabelais et de Noël du Fail signalés
      dans les sources.

             Rien ne pèse tant qu’un secret ;
          Le porter loin est difficile aux dames ;
             Et je sais même, sur ce fait *,
             Bon nombre d’hommes qui sont femmes.

      Pour éprouver la sienne, un mari s’écria,       5
      La nuit, étant près d’elle : « O dieux! qu’est-ce * cela?
             Je n’en puis plus! on me déchire!
      Quoi? j’accouche d’un œuf! — D’un œuf? — Oui, le voilà,
      Frais et nouveau * pondu! Gardez * bien de le dire,
      On m’appellerait poule! Enfin, n’en parlez pas. »   10
             La femme, neuve * sur ce cas *
             Ainsi que sur mainte autre affaire,
      Crut la chose et promit * ses grands dieux de se taire.
             Mais ce serment s’évanouit
             Avec les ombres de la nuit.             15
             L’épouse, indiscrète et peu fine,
      Sort du lit quand le jour fut à peine levé,
             Et de courir chez sa voisine!
      —  « Ma commère *, dit-elle, un cas * est arrivé.
      N’en dites rien surtout! car vous me feriez battre! 20
      Mon mari vient de pondre un œuf gros comme quatre.
             Au nom de Dieu, gardez-vous bien
             D’aller publier ce mystère *!
      — Vous moquez-vous? dit l’autre. Ah! vous ne savez guère
          Quelle * je suis. Allez, ne craignez rien. »   25
      La femme du pondeur1 s’en retourne chez elle.
      L’autre grille déjà d’en conter la nouvelle * :
       1. Néologisme excellent de La Fontaine.
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