Page 317 - Les fables de Lafontaine
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LE POUVOIR DES FABLES 3i
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu’il put :
Le vent emporta tout, personne ne s’émut.
L’animal aux têtes frivoles12,
Étant fait à ces traits *, ne daignait l’écouter. 45
Tous regardaient ailleurs ; il en vit s’arrêter *
A des combats d’enfants, et point à ses paroles.
Que fit le harangueur? il prit un autre tour :
— « Cérès *, commença-t-il, faisait * voyage un jour
Avec l’Anguille et l’Hirondelle. 50
Un fleuve les arrête, et l’Anguille en nageant
Comme l’Hirondelle en volant
Le traversa bientôt. » L’assemblée13, à l’instant,
Cria tout d’une voix : « Et Cérès, que fit-elle?
— Ce qu’elle fit? un prompt courroux 55
L’anima d’abord * contre vous.
Quoi ! de contes d’enfants son peuple14 s’embarrasse !
Et du péril qui le menace
Lui seul entre les Grecs il néglige l’effet *!
Que * ne demandez-vous ce que Philippe fait15 ? » 60
A ce reproche, l’assemblée,
Par l’apologue * réveillée,
Se donne entière à l’orateur.
Un trait * de fable en eut l’honneur.
Nous sommes tous d’Athène en * ce point ; et moi-même, 65
Au moment que * je fais cette moralité,
Si Peau-d’Ane m’était conté 16,
J’y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on ; je le crois, cependant,
Il le faut amuser encor * comme un enfant. 70
Exercice complémentaire. Dites, d'après cette pièce, en quoi
consiste le pouvoir des fables.
12. Le peuple. Périphrase, 24, d. — 13. L'assemblée du peuple, réunie
sur la Pnyx. — 14. Son peuple. Erreur : la déesse protectrice d’Athènes
était Minerve. Mais Cérès était la déesse d’Eleusis et elle avait eu des
bontés toutes spéciales pour Athènes qui lui rendait aussi un culte tout
particulier. — 15. Philippe de Macédoine, ennemi d’Athènes, père
d’Alexandre le Grand. — 16. Peau-d’Ane, conte populaire, que
Charles Perrault devait rédiger en 1694.