Page 322 - Les fables de Lafontaine
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316 FABLES. — LIVRE HUITIÈME
8. — LE RIEUR ET LES POISSONS
Source. — Abstémius.
Intérêt. — Cette fable n’est qu’un bon mot un peu longue
ment et même lourdement développé, d’autant plus que ce mot
n’est pas des plus fins. La Fontaine s’en excuse d’ailleurs avec
simplicité dans son petit prologue.
On cherche les rieurs *, et moi je les évite.
Cet art * veut *, sur * tout autre, un suprême mérite.
Dieu ne créa que pour les sots
Les méchants * diseurs de bons mots.
J’en vais, peut-être, en une fable, 5
Introduire un1 ; peut-être aussi
Que quelqu’un trouvera que j’aurai réussi 2.
Un rieur était à la table
. D’un financier *, et n’avait, en son coin,
Que de petits poissons, tous les gros étaient loin. 10
Il prend donc les menus, puis leur parle à l’oreille s,
Et puis il feint à la pareille *,
D’écouter leur réponse. On demeura surpris ;
Cela suspendit * les esprits.
Le Rieur, alors, d’un ton sage *, 15
Dit qu’il craignait qu’un sien ami
Pour les Grandes Indes * parti
N’eût, depuis un an, fait naufrage.
Il s’en informait donc à ce menu fretin * ;
Mais tous lui répondaient qu’ils n’étaient pas d’un âge 20
A savoir au vrai son destin ;
Les gros en sauraient davantage.
« N’en puis-je donc, Messieurs, un gros interroger ? »
De dire si la compagnie *
Prit goût à la plaisanterie, 25
J’en doute, mais enfin, il les sut engager
1. Un méchant diseur de bons mots. — 2. Réussi à faire agréer la
plaisanterie du « rieur ». — 3. En fait, les « ouïes » des poissons ne
sont nullement des oreilles, mais peu importe!