Page 286 - Les fables de Lafontaine
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28a FABLES. — LIVRE SEPTIÈME
8. — LE COCHE * ET LA MOUCHE
Sources. — Phèdre ; Anonyme ; Abstémius ; Faërne ; Haudent.
Parue en 1671.
Intérêt. — Fable didactique, chef-d’œuvre de réalisme pitto
resque : précision des termes, mouvement des phrases, rythme
et harmonie, tout concourt à la perfection du portrait en action
de la mouche et à l’évocation du cadre. Cette fable est tout à fait
dans la tradition de la fable ornée, selon l’idéal du premier recueil.
Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,
Six forts chevaux tiraient un coche *.
Femmes, moines, vieillards, tout * était descendu.
L’attelage suait, soufflait, était rendu * h 5
Une Mouche suivient et des chevaux s’approche,
Prétend * les animer par son bourdonnement,
Pique l’un, pique l’autre, et pense à tout moment
Qu’elle fait aller la machine *,
S’assied sur le timon *, sur le nez du cocher 1 ; 10
2
Aussitôt que le char * chemine
Et qu’elle voit les gens marcher,
Elle s’en attribue uniquement la gloire, '
Va, vient, fait l’empressée ; il semble que ce soit
Un sergent * de bataille allant en chaque endroit 15
Faire avancer ses gens * et hâter la victoire.
La Mouche, en ce commun besoin *,
Se plaint qu’elle agit seule, et qu’elle a tout le soin *,
Qu’aucun n’aide aux chevaux à se tirer d’affaire :
Le moine disait son bréviaire, 20
Il prenait bien son temps! une femme chantait,
C’était bien de chansons qu’alors il s’agissait3!
Dame Mouche s’en va chanter à leurs oreilles
Et fait cent sottises pareilles.
1. Gradation, 23, r. — 2. Harmonie et rythme, 23, s. — 3. Style
indirect, 29, z.