Page 281 - Les fables de Lafontaine
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LES SOUHAITS 277
Pour plus de marques1 de son zèle,
Chez ces gens, pour toujours, il se fût arrêté *, 15
Nonobstant * la légèreté
A ses pareils si naturelle ;
Mais ses confrères, les esprits,
Firent tant que le chef de cette république *,
Par caprice ou par politique, 20
Le changea bientôt de logis.
Ordre lui vint d’aller au fond de la Norvège
Prendre le soin d’une maison
En tout temps couverte de neige,
Et, d’indou qu’il était, on vous le fait Lapon *. 25
Avant * que' de partir, l’Esprit dit à ses hôtes :
— « On m’oblige de * vous quitter;
Je ne sais pas pour quelles fautes ;
Mais enfin, il le faut, je ne puis arrêter *
Qu’un temps fort court, un mois, peut-être une semaine : 30
Employez-la 2 ; formez trois souhaits, car je puis
Rendre * trois souhaits accomplis,
Trois sans plus *1 » Souhaiter, ce n’est pas une peine
Étrange * et nouvelle aux humaines.
Ceux-ci, pour premier vœu, demandent l’abondance, 35
Et l’abondance, à pleines mains,
Verse en leurs coffres la finance *,
En leurs greniers le blé, dans leurs caves les vins.
Tout en crève *. Comment ranger cette chevance *?
Quels registres! quels soins *1 quel temps il leur fallut! 40
Tous deux sont empêchés * si jamais on le fut-.
Les voleurs contre eux complotèrent,
Les grands Seigneurs leur empruntèrent,
Le Prince * les taxa. Voilà les pauvres gens
Malheureux par trop de fortune. 45
— « Otez-nous, de ces biens, l’affluence importune,
Dirent-ils, l’un et l’autre ; heureux, les indigents!
La pauvreté vaut mieux qu’une telle richesse.
Retirez-vous, trésors! fuyez! Et toi, Déesse,
1. Pour (donner) plus de marques. — 2. Employez-la : profitez de
cette semaine.