Page 291 - Les fables de Lafontaine
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L’HOMME QUI COURT APRÈS LA FORTUNE 287
11. — L’HOMME QUI COURT APRÈS LA FORTUNE
ET L’HOMME QUI L’ATTEND DANS SON LIT
Source. — Inconnue.
Intérêt.— Conte moral, dont la donnée s’apparente de fort près
à IX, 2 : les Deux Pigeons. Le sujet est, ici, traité avec ampleur :
un discours moral (v. 1 à 21) évoque, sur un ton moitié familier,
moitié oratoire, l’image de l’humanité en proie au désir de faire
fortune. Le récit lui-même promène le principal héros par toute
la terre, évoquant poétiquement toutes les traverses d’une vie
ambitieuse. L’idée directrice : les Hommes et la Fortune, se
retrouvera dans' les deux fables suivantes, et les trois fables II,
12, 13, forment comme trois images différentes, opposées même,
du même lieu commun. C’est un exemple typique des procédés
de la fable variée.
Qui ne court après la Fortune * ?
Je voudrais être en lieu1 d’où je pusse aisément
Contempler la foule importune
De ceux qui cherchent vainement
Cette fille du Sort *, de royaume en royaume, 5
Fidèles courtisans d’un volage fantôme *.
Quand ils sont près du bon moment,
L’inconstante, aussitôt, à leurs désirs échappe ;
Pauvres gens! je les plains ; car on a, pour les fous,
Plus de pitié que de courroux. 10
— Cet homme, disent-ils, était planteur de choux
Et le voilà devenu Pape 2 !
Ne le valons-nous pas? — Vous valez cent fois mieux!
Mais que * vous sert votre mérite ?
La Fortune a-t-elle des yeux3? 15
Et puis, la papauté, vaut-elle ce qu’on quitte,
1. Article, 29, c. — 2. Allusion possible à Sixte-Quint (1585-1590)
qui, d’après une tradition, aurait été, non jardinier, mais porcher. On cite
encore Urbain IV (1261-1269) qui avait été cordonnier, et Benoît XI
(1303-1304) qui avait été berger. — 3. On la peint avec un bandeau
sur les yeux.
LES FABLES DE LA FONTAINE. 10