Page 296 - Les fables de Lafontaine
P. 296

292         FABLES. — LIVRE SEPTIÈME
         parties faites d’accumulations antithétiques, dont la trop exacte
         symétrie paraît bien un peu artificielle. La Fontaine reprend, ici,
         l’idée directrice qu’il a développée dans V, n : la Fortune et le
         jeune Enfant.
         Un trafiquant * sur mer, par bonheur *, s’enrichit :
         Il triompha des vents pendant plus d’un voyage ;
         Gouffre, banc 1 ni rocher n’exigea de péage *
         D’aucun de ses ballots *, le Sort * l’en affranchit *.
         Sur tous ses compagnons, Atropos * et Neptune *   5
         Recueillirent leur droit *, tandis que la Fortune *
         Prenait soin d’amener son marchand à bon port.
         Facteurs *, associés, chacun lui fut fidèle.
         Il vendit son tabac, son sucre, sa cannelle
             Ce qu’il voulut, sa porcelaine encor * 2.   10
         Le luxe et la folie 3 enflèrent son trésor ;
              * Bref, il plut dans son escarcelle *.
         On ne parlait chez lui que par doubles ducats *,
         Et mon homme, d’avoir chiens, chevaux et carrosses.
                Ses jours de jeûne étaient des noces.   15
         Un sien ami, voyant ces somptueux repas,
         Lui dit : « Et * d’où vient donc un si bon ordinaire * ?
         -— Et * d’où me viendrait-il que * de mon savoir-faire ?
         Je n’en dois rien qu’à moi, qu’à mes soins, qu’au talent
         De risquer à propos et bien placer l’argent. »   30
         Le profit 4 lui semblant une fort douce chose,
         Il risqua de nouveau le gain qu’il avait fait.
         Mais rien, pour cette fois, ne lui vint à souhait.
                Son imprudence en fut la cause :
         Un vaisseau, mal frété *, périt au premier 4’ent.   25
         Un autre, mal pourvu des armes nécessaires 5,
                 Fut enlevé par les corsaires *.


           1. Banc (de sable) sur lequel s’échouent les navires. — 2. On
         importait le tabac et le sucre de l’Amérique ; la cannelle des Indes,
         la porcelaine de la Chine. -— 3. Le luxe et la folie, les objets de luxe,
         prétextes à de folles dépenses. Abstrait pour le concret ; cf. Métonymie,
         23, b. —■ 4. Ici commence la deuxième partie de la fable qui fait une
         antithèse exacte avec la première. — 5. C’est-à-dire non pourvu des
         armes qui eussent été nécessaires pour repousser les corsaires.
   291   292   293   294   295   296   297   298   299   300   301