Page 293 - Les fables de Lafontaine
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L’HOMME QUI COURT APRÈS LA FORTUNE 289
Suivez jusques * au bout une ombre * qui vous flatte *. 50
La Fortune a, dit-on, des temples à Surate * :
Allons-là. » Ce fut un * de dire et s’embarquer.
Ames de bronze, humains, celui-là fut sans doute
Armé de diamant, qui tenta cette route
Et, le premier, osa l’abîme * défier11! 55
Celui-ci, pendant son voyage,
Tourna les yeux vers son village
Plus d’une fois, essuyant les dangers
Des pirates, des vents, du calme12 et des rochers,
Ministres de la Mort. Avec beaucoup de peines, 60
On s’en va la chercher en des rives lointaines,
La trouvant13 assez tôt sans quitter la maison.
L’homme arrive au Mogol * ; en lui dit qu’au Japon
La Fortune, pour lors *, distribuait ses grâces :
Il y court ; les mers étaient lasses 65
De le porter ; et tout le fruit *
Qu’il tira de ses longs voyages,
Ce fut cette leçon que donnent les sauvages 14 :
« Demeure en ton pays, par la nature instruit. »
Le Japon ne fut pas plus heureux * à cet homme 70
Que le Mogol n’avait été.
Ce qui lui fit conclure, en somme,
Qu’il avait à grand tort son village quitté15. .
Il renonce aux courses ingrates *,
Revient en son pays, voit de loin ses pénates*, 75
Pleure de joie et dit : « Heureux, qui vit chez soi16,
De régler ses désirs faisant tbut son emploi * !
Il ne sait que par ouï-dire
Ce que c’est que la cour, la mer, et ton empire *,
11. -Ames de bronze : âmes insensibles à la peur, bronzées contre
la peur ; armé de diamant : ayant le cœur cuirassé d’une enveloppe dure
comme le diamant. Cette route (maritime). Ces trois vers sont une cita
tion d’un passage fameux d’Horace, Odes III, I, 9-13. — 12. Du
calme qui empêche les bâtiments à voile d’avancer et menace les équi
pages de famine. — 13. Quoiqu’on la trouve, cf. Participe présent,
29, q. — 14. Non pas les Japonais, mais les premiers, sauvages venus,
instruits par la naturel— 15. Inversion, 23, y.— 16. Heureux... Citation
d’un texte souvent imité, de Claudien ; cf., entre autres, le sonnet de
Du Bellay : O qu'heureux est celui..., dans les Regrets.