Page 300 - Les fables de Lafontaine
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2ÇÔ         FABLES. — LIVRE SEPTIÈME


         15.  — LE CHAT, LA BELETTE ET LE PETIT LAPIN


           Source. — Pilpay.
           Intérêt. — Cette fable est une exquise comédie animale, dans
         un frais décor de nature ; la comédie est menée avec un sens
         parfait du comique et de la poésie, aussi bien dans les notations
         pittoresques que dans les indications d’attitudes et les discours.
         L’auteur se place dans la tradition littéraire de l’antique roman
         de Renart, mais il atteint un degré inégalé de perfection.
           L’idée morale mise en lumière est celle qui inspire I, 13 : les
         Voleurs et l'Ane ; IV, 4, le Jardinier et son Seigneur.
                Du palais d’un jeune Lapin,
                Dame * Belette *, un beau matin,
                S’empara. C’est une rusée.
         Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée.
         Elle porta chez lui ses pénates *, un jour     5
         Qu’il était allé faire à l’Aurore sa cour *
                Parmi le thym et la rosée.
         Après qu’il eut brouté, trotté, fait tous ses tours *,
         Jeannot * Lapin retourne aux souterrains séjours.
         La Belette avart mis le nez à la fenêtre.     10
         —  « O dieux hospitaliers1! que vois-je ici paraître?
         Dit l’animal chassé du paternel logis.
                Holà! Madame la Belette,
                Que l’on déloge sans trompette *!
         Ou je vais avertir tous les rats du pays2! »   15
         La dame au nez pointu 3 répondit que la terre
                Était au premier occupant.
                C’était4 un beau sujet de guerre
         Qu’un logis où lui-même il 'n’entrait qu’en rampant !

          1. Les dieux hospitaliers sont les dieux protecteurs de l’hospitalité,
         Jupiter en particulier. Jeannot Lapin les invoque, parce qu’il est indû­
        ment chassé du logis dont il est l’hôte attitré. — 2. L’hostilité de
        nature qui oppose les rats et les belettes, fait le sujet de la fable 6 du
        livre IV, le Combat des Rats et des Belettes. — 3. Périphrase, 24, d.
        —  4. Style indirect, 29, z.
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