Page 248 - Les fables de Lafontaine
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244 FABLES. — LIVRE SIXIÈME
— « Quelle proportion1 de mes pieds à ma tête !
Disait-il, en voyant leur ombre * avec douleur :
Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte ;
Mes pieds ne me font point d’honneur. » io
Tout en parlant de la sorte,
Un Limier * 2 le fait partir ;
Il cherche à se garantir ;
Dans les forêts il s’emporte *.
Son bois, dommageable ornement, 15
L’arrêtant à chaque moment,
Nuit à l’office * que lui rendent
Ses pieds, de qui * ses jours dépendent.
Il se dédit * alors et maudit les présents
Que le ciel lui fait tous les ans 3. 20
Nous faisons cas du beau, nous méprisons l’utile,
Et le beau souvent nous détruit *.
Ce Cerf blâme ses pieds qui le rendent agile,
Il estime un bois qui lui nuit 4.
Exercice complémentaire. — Faites le portrait du Cerf.
10. — LE LIÈVRE ET LA TORTUE
Sources. — Ésope ; Corrozet ; Haudent.
Intérêt. — Fable comique, dont l’antithèse fondamentale
(lièvre-tortue, vitesse-lenteur, imprudence-prudence...) est déve
loppée spirituellement sous toutes ses formes. Aussi, tout est-il
action, et l’on pourra noter l’importance des verbes et leur accu
mulation. Le ton est familier. Le mouvement de la composition
est ménagé très habilement. C’est un chef-d’œuvre de naturel
et de comique gracieux.
1. Quelle proportion, ironique : quelle disproportion...! — 2. En
parlant, ... un Limier... Accord, 29, a. — 3. Le bois du cerf tombe
et renaît tous les ans. Cf. Ramure *. — 4. Qui lui nuit, cacophonie,
faute exceptionnelle chez La Fontaine.