Page 243 - Les fables de Lafontaine
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LE COCHET, LE CHAT ET LE SOURICEAU 239
Un Souriceau1 tout jeune et qui n’avait rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.
Voici comme * il conta l’aventure à sa mère :
— « J’avais franchi les monts qui bornent cet État2
Et trottais comme un jeune rat * 5
Qui cherche à se donner carrière *,
Lorsque deux animaux m’ont arrêté les yeux :
L’un, doux, bénin • et gracieux,
Et l’autre, turbulent et plein d’inquiétude.
Il a la voix perçante et rude, 10
Sur la tête, un morceau de chair,
Une sorte de bras dont il s’élève en l’air
Comme pour prendre sa volée,
La queue en panache étalée. »
Or, c’était un Cochet * dont notre Souriceau 15
Fit à sa mère le tableau
Comme d’un animal venu de l’Amérique.
— « Il se battait, dit-il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas
Que, moi, qui grâce aux dieux de courage me pique *, 20
En ai pris la fuite de peur,
Le maudissant de très bon cœur.
Sans lui, j’aurais fait connaissance
Avec cet animal qui m’a semblé si doux :
Il est velouté comme nous, 25
Marqueté *, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et, pourtant, l’œil luisant.
Je le crois fort sympathisant
Avec Messieurs les Rats ; car il a des oreilles
En figure * aux nôtres pareilles. 30
Je l’allais aborder s, quand, d’un son plein d’éclat,
L’autre m’a fait prendre la fuite.
— Mon fils, dit la Souris, ce doucet4 est un chat
Qui, sous son minois * hypocrite,
1. Souriceau : petit d’une souris. —- 2. Le Souriceau est petit, voit
grand et s’exprime avec emphase. — 3. Complément de l’infinitif,
29, d. — 4. Doucet : diminutif de doux, à sens péjoratif : cet être
hypocritement doux.