Page 238 - Les fables de Lafontaine
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FABLES. — LIVRE SIXIÈME
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       Phèdre était si succinct qu’aucuns * l’en ont blâmé2.
       Ésope en moins de mots s’est encore exprimé 3.
       Mais, sur * tous, certain Grec 4 renchérit et se pique *
             D’une élégance laconique :
       Il renferme toujours son conte en quatre vers ;   15
       Bien ou mal, je le laisse à juger aux experts.
       Voyons-le * avec Ésope, en un sujet semblable.
       L’un amène un chasseur, l’autre un pâtre, en sa fable.
       J’ai suivi leur projet * quant à l’événement *,
       Y cousant en chemin quelque trait * seulement.   20 ,
       Voici comme *, à peu près, Ésope le raconte :
       Un Pâtre, à ses brebis trouvant quelque mécompte *,
       Voulut à toute force attraper le larron.
       Il s’en va près d’un antre, et tend à l’environ *
       Des lacs * à prendre Loups, soupçonnant cette engeance *. 25
               Avant * que partir de ces lieux :
       — « Si tu fais, disait-il, ô Monarque des dieux 5,
       Que le drôle *, à ces lacs, se prenne en ma présence
               Et que je goûte ce plaisir,
               Parmi vingt veaux, je veux choisir     30
               Le plus gras et t’en faire * offrande. »
       A ces mots, sort de l’antre un Lion grand et fort 6.
       Le Pâtre se tapit et dit, à demi-mort :
       « Que l’homme ne sait guère, hélas! ce qu’il demande!
       Pour trouver le larron qui détruit * mon troupeau 35
       Et le voir en ces lacs pris avant que je parte,
       O Monarque des dieux, je t’ai promis un veau :
       Je te promets un bœuf, si tu fais qu’il s’écarte! »
       C’est ainsi que 1’ 7 a dit le principal auteur.
               Passons à son imitateur.               40
         2.  Phèdre finit en effet la plus longue de ses fables en disant : J’ai
       fait ce développement plus long pour certains lecteurs choqués de mon
       excessive brièveté. — 3. Les fables ésopiques sont, au contraire,
       plutôt plus longues que celles de Phèdre. — 4. Ce certain Grec est
       Babrius, que La Fontaine nomme Gabrias et qu’il ne connaissait que
       par des remaniements. Benserade, imitant le légendaire Gabrias, a fait,
       après La Fontaine, des fables en quatrains qui ne plaident pas la cause
       de ce genre. ■— 5. Jupiter. Périphrase, 24, d. — 6. Inversion expres­
       sive, 23, y. — 7. L’ : le conte, la chose. Le principal auteur est Ésope ;
       l’imitateur est Gabrias.
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