Page 231 - Les fables de Lafontaine
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LE LIÈVRE ET LA PERDRIX 227
gémissait douloureusement ; un moineau le raillait : Où donc
est cette fameuse rapidité ? pourquoi |tes pieds ont-ils montré
tant de nonchalance? Pendant qu’il parlait, un vautour l’agrippe
inopinément et, malgré ses plaintes vaines et ses cris, le tue. Alors
le lièvre à demi-mort : Voilà qui me console de mourir. Toi qui,
toute à l’heure, à l’abri, te moquais de mes maux, tu pleures ton
sort en gémissant comme moi. »
On ne trouve, ici, ni la vraisemblance, ni le mouvement dra
matique, ni surtout l’émotion personnelle qui sont l’invention
propre de La Fontaine.
Il ne se1 faut , jamais moquer des misérables :
Car, qui peut s’assurer * d’être toujours heureux ?
Le sage Ésope, dans ses fables,
Nous en donne un exemple ou deux2.
Celui qu’en ces vers je propose 5
Et les siens, ce sont même chose.
Le Lièvre et la Perdrix, concitoyens d’un champ,
Vivaient dans un état, ce semble, assez tranquille,
Quand une meute s’approchant
Oblige le premier à chercher un asile. 10
Il s’enfuit dans son fort *, met les chiens en défaut *,
Sans même en excepter Brifaut *.
Enfin *, il se trahit lui-même
Par les esprits * sortant de son corps échauffé.
Miraut, sur leur odeur ayant philosophé 3, 15
Conclut que c’est son lièvre, et, d’une ardeur extrême,
Il le pousse *, et Rustaut, qui n’a jamais menti,
Dit que le Lièvre est reparti.
Le pauvre malheureux vient mourir à son gîte.
La Perdrix le raille et lui dit : 20
— « Tu te vantais d’être si vite * :
Qu’as-tu fait de tes pieds ? » Au moment qu*’elle rit,
Son tour vient ; on la trouve. Elle croit que ses ailes
La sauront * garantir à toute extrémité * ;
1. Complément de l’infinitif, 29, d. — 2. Affirmation toute gratuite :
on ne trouve rien de tel dans Ésope. — 3. Philosophé : ironique, pour :
réfléchi.