Page 230 - Les fables de Lafontaine
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22Ô         FABLES. — LIVRE CINQUIÈME
         On conte1 qu’un Serpent, voisin d’un Horloger,
         (C’était, pour l’Horloger, un mauvais voisinage)
         Entra dans sa boutique, et, cherchant à manger,
                N’y rencontra, pour tout potage,
         Qu’une Lime d’acier qu’il se mit à ronger.      5
         Cette Lime lui dit, sans se mettre en colère :
             — « Pauvre ignorant ! et * que prétends-tu faire ?
                Tu te prends à plus dur/que toi.
                Petit Serpent à tête folle,
                Plutôt que d’emporter, de moi,          10
                Seulement le quart d’une obole *,
                Tu te romprais toutes les dents.
                 Je ne crains que celles du temps. »
         Ceci s’adresse à vous, esprits du dernier ordre,
         Qui, n’étant bons à rien, cherchez sur tout à mordre : 15
               Vous vous tourmentez vainement.'
         Croyez-vous que vos dents impriment leurs outrages *
                Sur tant de beaux ouvrages ?
         Ils sont pour vous d’airain, d’acier, de diamant2.

           Exercice complémentaire. — Quels sont ces « esprits du dernier
         ordre » auxquels La Fontaine s’adresse avec tant de véhémence dans
         sa morale ?



                 17.  — LE LIÈVRE ET LA PERDRIX

           Sources. — Phèdre ; Abstémius.
           Intérêt. — Cette fable montre avec quel bonheur La Fontaine
         métamorphose ses modèles. Voici, en effet, la fable de Phèdre
         dont il s’est inspiré : « Donner des conseils à autrui sans être
         sur ces gardes pour soi-même est une folie, comme nous l’allons
         montrer dans ces quelques vers. Un aigle tenait serré un lièvre qui

           1. C’est Phèdre qui, le premier, a conté cette fable assez bizarre.
         Sans doute l’a-t-il inventée ; il en fait une menace contre ses ennemis
         personnels. — 2. Gradation, 23, r.
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