Page 219 - Les fables de Lafontaine
P. 219
LA VIEILLE ET LES DEUX SERVANTES 215
Sentant son Renard d’une lieue1,
Fut enfin au piège attrapé.
Par grand hasard * en étant échappé, 5
Non pas franc *, car pour gage * il y laissa sa queue,
S’étant, dis-je, sauvé sans queue et tout honteux,
Pour avoir des pareils, comme il était habile,
Un jour que les Renards tenaient conseil * entre eux :
— « Que faisons-nous, dit-il, de ce poids inutile 10
Et qui va * balayant tous les sentiers fangeux ?
Que * nous sert cette queue ? il faut * qu’on * se la coupe.
Si l’on m’en croit, chacun s’y résoudra.
— Votre avis est fort bon, dit quelqu’un * de la troupe,
Mais tournez-vous, de grâce, et l’on vous répondra. » 15
A ces mots, il se fit une telle huée,
Que le pauvre écourté * ne put être entendu.
Prétendre * ôter la queue eût été temps perdu ;
Le mode en fut continuée.
Exercice complémentaire. —.Décrivez l’attitude du Renard
à la queue coupée avant, pendant et après son discours.
6. — LA VIEILLE ET LES DEUX SERVANTES
Sources. — Ésope ; Corrozet ; Haudent ; Meslier.
Intérêt. — Tableau d’un pittoresque admirable. La Fontaine
a rarement évoqué un humble intérieur avec un sens plus sûr de
la réalité : gestes, éclairage, objets, réalisme du vocabulaire, rythme
de la syntaxe et du vers, tout concourt à faire, de cette fable, un
chef-d’œuvre de poésie familière. Il
Il était * une Vieille ayant deux chambrières *.
Elles filaient si bien que les sœurs filandières *
Ne faisaient que brouiller1 au prix * de celles-ci.
La Vieille n’avait point de plus pressant souci
1. Réminiscence de.Marot, qui décrit son valet de Gascogne « sentant
la hart d’une lieue à la ronde ». Sentant son renard, dont l’astuce, propre
aux renards, se devinait.
1. Brouiller, s’embrouiller (dans leurs fils).