Page 214 - Les fables de Lafontaine
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210 FABLES. — LIVRE CINQUIÈME
Sur celui-ci roulait * tout son avoir 9.
Ne sachant donc où mettre son espoir,
Sa face10 *était de pleurs toute baignée.
— « O ma cognée! ô ma pauvre cognée! 40
S’écriait-il, Jupiter, rends-la-moi !
Je tiendrai l’être encore un coup de toi11. »
Sa plainte fut de l’Olympe * entendue.
Mercure * vient. « Elle n’est pas perdue,
Lui dit ce dieu ; la connaîtras *-tu bien ? 45
Je crois l’avoir près d’ici rencontrée *. »
Lors *, une d’or à l’homme étant montrée,
Il répondit : « Je n’y demande rien12. »
Une d’argent succède à la première ;
Il la refuse. Enfin, une de bois. 50
— « Voilà, dit-il, la mienne cette fois ;
Je suis content si j’ai cette dernière.
— Tu les auras, dit le dieu toutes trois.
Ta bonne foi sera récompensée.
— En ce cas-là, je les prendrai », dit-il. 55
L’Histoire en est aussitôt dispersée13.
Et boquillons * de perdre leur outil,
Et de crier pour se le faire rendre.
Le roi des dieux ne sait auquel entendre *.
Son fils Mercure aux criards vient encor * ; 60
A chacun d’eux il en montre une d’or.
Chacun eût cru passer pour une bête
De ne pas dire aussitôt : La voilà!
Mercure, au lieu de donner celle-là,
Leur en décharge un grand coup sur la tête. 65
Ne point mentir, être content * du sien,
C’est le plus sûr. Cependant, on s’occupe
9. Expression elliptique : sur cet outil roulait (tout son espoir de
se faire un) avoir. — 10. Accord, 29, a. — 11. Le bûcheron tient
son être (= sa vie) de Jupiter une première fois par la naissance ;
conception toute chrétienne. — 12. Je n’y demande rien : je ne
demande rien de tel, emploi libre de y. — 13. Dispersée, répandue
parmi les autres bûcherons.