Page 213 - Les fables de Lafontaine
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LE BUCHERON ET MERCURE 309
Je le veux comme vous ; cet effort ne peut plaire *. 5
Un auteur gâte tout quand il veut trop bien faire.
Non qu’il faille bannir certains traits * délicats ;
Vous les aimez, ces traits, et je ne les hais pas.
Quant au principal but qu’Ésope se propose2,
J’y tombe * au moins mal que je puis. 10
Enfin, si, dans ces vers, je ne plais et n’instruis,
Il * ne tient pas à moi ; c’est toujours quelque chose.
Comme la force est un point *
Dont je ne me pique * point,
Je tâche d’y 3 tourner le vice en ridicule 15
Ne pouvant l’attaquer avec des bras d’Hercule *.
C’est là tout mon talent, je ne sais s’il suffit.
Tantôt, je peins en un récit
La sotte vanité jointe avecque * l’envie,
Deux pivots sur qui * roule * aujourd’hui notre vie. 20
Tel est ce chétif * animal
Qui voulut en grosseur au bœuf se rendre égal 4 * .
J’oppose quelquefois, par une double image,
Le vice à la vertu, la sottise au bon sens,
Les agneaux aux loups ravissants *, 25
La mouche à la fourmi, faisant de cet ouvrage
Une ample comédie * à cent actes divers *,
Et dont la scène est l’univers.
Hommes, dieux, animaux, tout y fait quelque rôle,
Jupiter comme un autre. Introduisons celui 30
Qui porte de sa part aux belles * la parole 6.
Ce n’est pas de cela 6 qu’il s’agit aujourd’hui.
, Un Bûcheron perdit son gagne-pain,
C’est sa cognée ; et, la cherchant en vain,
Ce 7 fut pitié là-dessus * de l’entendre. 35
Il n’avait pas 8 des outils à revendre :
2. Ce principal but est la morale. — 3. Y : dans ce but. — 4. Allusion
à la fable 3 du livre I : la Grenouille qui se veut faire aussi grosse que
le Bœuf. — 5. Il s’agit de Mercure, messager des dieux. — 6. D’un
message galant. — 7. Accord, 29, a. — 8. Discours indirect, 29, z.