Page 210 - Les fables de Lafontaine
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206        FABLES. — LIVRE QUATRIÈME

               C’est-à-dire environ * le temps
        Que tout aime et que tout pullule dans le monde :
               Monstres * marins au fond de l’onde,
        Tigres dans les forêts, alouettes aux champs1.
               Une pourtant, de ces dernières,         io
        Avait laissé passer la moitié du printemps
        Sans goûter le plaisir des amours printanières.
        A toute force *, enfin, elle se résolut
        D’imiter la nature *, et d’être mère encore.
        Elle bâtit un nid, pond, couve et fait éclore   15
        A la hâte ; le tout alla du mieux qu’il put.
        Les blés d’alentour mûrs2 avant que la nitée *
               Se trouvât assez forte encor *
               Pour voler et prendre l’essor,
        De mille soins * divers l’Alouette agitée     20
       S’en va chercher pâture, avertit ses enfants
        D’être toujours au guet * et faire * sentinelle.
               —■ « Si le possesseur de ces champs
       Vient avecque * son fils, comme il viendra, dit-elle,
           Écoutez bien ; selon ce qu’il dira,        25
               Chacun de nous décampera. »
       Sitôt que l’Alouette eut quitté sa famille,
       Le possesseur du champ vient avecque * son fils.
       —  « Ces blés sont mûrs, dit-il ; allez chez nos amis,
       Les prier que chacun, apportant sa faucille,   30
       Nous vienne aider demain dès la pointe du jour. »
               Notre Alouette, de retour,
               Trouve en alarme sa couvée.
       L’un commence : « Il a dit que, l’aurore levée,
       L’on fit venir demain ses amis pour l’aider...   35
       —  S’il n’a dit que cela, repartit l’Alouette,
       Rien ne nous presse encor * de changer de retraite ;
       Mais c’est demain qu’il faut tout de bon * écouter.
       Cependant, soyez gais : voilà de quoi manger. »
       Eux repus, tout s’endort, les petits et la mère.   40


         1. Cette description du printemps s’inspire du poète latin Lucrèce
       (I, 18-21). — 2. Les blés... (étant) mûrs...
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