Page 207 - Les fables de Lafontaine
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L’ŒIL DU .MAITRE 203
Il y fit tant de tours qu’un fossoyeur * le vit,
Se douta du dépôt, l’enleva sans rien dire. 20
Notre avare, un beau jour, ne trouva que le nid *.
Voilà mon homme aux pleurs 5 ; il gémit, il soupire,
Il se tourmente, il se déchire.
Un passant lui demande à * quel sujet ses cris.
— « C’est mon trésor que l’on m’a pris. 25
— Votre trésor ? où, pris ? — Tout joignant * cette pierre.
— Eh! sommes-nous en temps de guerre
Pour l’apporter si loin ? N’eussiez-vous pas mieux fait
De le laisser chez vous en votre cabinet *
Que de le changer de demeure? 30
Vous auriez pu sans peine y puiser à toute heure.
— A toute heure! bons dieux! ne tient-il qu’à cela6?
L’argent vient-il comme il s’en va ?
Je n’y touchais jamais. — Dites-moi donc, de grâce,
Reprit l’autre, pourquoi vous vous affligez tant ; 35
Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent,
Mettez une pierre à la place :
Elle vous vaudra tout autant 7. »
Exercice complémentaire. — Rapprochez cette fable de V, 13,
la Poule aux œufs d’on; X, 4, l’Enfouisseur et son compère ;
XII, 3, du Thésauriseur et du Singe, et dites ce que La Fontaine
pense de l’avarice.
21. — L’ŒIL DU MAITRE
Sources. — Phèdre ; Haudent.
Intérêt. — Tableau rustique tout en action, doublé d’une
situation dramatique d’un intérêt admirablement soutenu et s’ache
vant en symbole. Il est peu de fables dans lesquelles le pitto
resque, la narration et la morale soient liés aussi naturellement.
Modèle de fable ornée.
5. (S’abandonnant) aux pleurs. — 6. Ne tient-il qu’à cela ? exclamation
familière : croyez-vous que ce soit aussi simple que cela? -—- 7. Elle
aura pour vous exactement la même valeur.