Page 204 - Les fables de Lafontaine
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200 FABLES. — LIVRE QUATRIÈME
On crut qu’il se moquait, on sourit, mais à tort.
Il sépare les dards 8 et les rompt sans effort.
— « Vous voyez, reprit-il, l’effet de la concorde.
Soyez joints, mes enfants, que l’amour vous accorde 9 !» 25
Tant que dura son mal, il n’eut d’autres discours *.
Enfin, se sentant près de terminer ses jours,
.
— « Mes chers enfants, dit-il, je vais où sont nos pères10 *
Adieu. Promettez-moi de vivre comme frères ;
Que j’obtienne de vous cette grâce en mourant. » 30
Chacun de ses trois fils l’en * assure en pleurant.
Il prend à tous les mains ; il meurt ; et les trois frères
Trouvent un bien fort grand, mais fort mêlé d’affaires *.
Un créancier saisit11, un voisin fait* procès.
D’abord, notre trio s’en tire avec succès. 35
Leur amitié fut courte autant qu’elle était rare.
Le sang12 les avait joints, l’intérêt les sépare.
L’ambition, l’envie, avec les consultants *,
Dans la succession, entrent en même temps.
On en vient au partage, on conteste *, on chicane. 40
Le juge, sur cent points, tour à tour13 les condamne.
Créanciers et voisins reviennent aussitôt,
Ceux-là sur * une erreur, ceux-ci sur un défaut *.
Les frères désunis sont tous d’avis contraire :
L’un veut s’accommoder *, l’autre n’en veut rien faire. 45
Tous perdirent leur bien *, et voulurent trop tard
Profiter de ces dards unis et pris à part14.
Exercice complémentaire. — Refaites ce récit sous forme d'une
« nouvelle » en plusieurs épisodes bien séparés.
8. Après avoir défait le nœud dont il est parlé au vers 13 ; l’omis
sion de ce détail capital est étonnante. — 9. Accorde : fasse régner
l’accord entre vous. — 10. Périphrase noble pour : mourir. — 11. Saisit
les biens, par voie de justice. — 12. Le sang : la parenté fraternelle.
— 13. Les uns après les autres. — 14. Comprenez : profiter de la
leçon que comportaient ces dards unis et impossibles à rompre, et,
ensuite, pris à part et faciles à briser.