Page 218 - Les fables de Lafontaine
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214 FABLES. — LIVRE CINQUIÈME
Toute bête portant des cornes à son front. 5
Chèvres, Béliers, Taureaux aussitôt délogèrent,
Daims et Cerfs de climat * changèrent.
Chacun à s’en aller fut prompt.
Un Lièvre, apercevant l’ombre de ses oreilles,
Craignit que quelque inquisiteur * 10
N’allât interpréter * à cornes leur longueur,
Ne les soutint en tout à des cornes pareilles.
— « Adieu, voisin Grillon, dit-il, je pars d’ici ;
Mes oreilles enfin * seraient cornes aussi.
Et quand je les aurais plus courtes qu’une autruche2, 15
Je craindrais même encor *. » Le Grillon repartit :
— « Cornes cela ? vous me prenez pour cruche !
Ce sont oreilles que Dieu fit.
— On les fera passer pour cornes,
Dit l’animal craintif, et cornes de licornes *. 20
J’aurai beau protester : mon dire 3 et mes raisons *
Iront aux Petites-Maisons *. »
Exercice complémentaire. — Approuvez-vous la prudence du
Lièvre?
5. — LE RENARD AYANT LA QUEUE COUPÉE
Sources. — Ésope ; Anonyme ; Faërne ; Corrozet ; Haudent ;
Meslier.
Intérêt. — Fable comique, où l’on voit finesse lutter contre
finesse, sans que La Fontaine prenne la peine d’en dégager aucune
morale. Ésope conclut la même fable en disant : « Ce récit est en
rapport avec ceux qui donnent des conseils, non dans l’intérêt
général, mais dans leur intérêt. »
Un vieux Renard, mais * des plus fins,
Grand croqueur de poulets, grand preneur de lapins,
2. Les oreilles de l’autruche sont à peine saillantes. — 3. Infinitif
déterminé, 29, j.