Page 193 - Les fables de Lafontaine
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LA GRENOUILLE ET LE RAT           189

       L’accoutumance ainsi nous rend tout familier.   j
       Ce qui nous paraissait terrible et singulier
              S’apprivoise * avec notre vue,
              Quand ce * vient à la continue *.
       Et, puisque nous voici tombés sur ce sujet,
              On1 avait mis des gens au guet *,       10
       Qui, voyant sur les eaux, de loin, certain objet *,
              Ne purent s’empêcher de dire
              Que c’était un puissant navire.
       Quelques moments après, l’objet devint brûlot *,
              Et puis, nacelle *, et puis, ballot *,   15
              Enfin, bâtons flottant sur l’onde2.
              J’en sais beaucoup, de par le monde,
              A qui ceci conviendrait bien :
       De loin, c’est quelque chose, et de près ce n’est rien.
         Exercice complémentaire. — Citez des exemples de choses ou
       de gens qui justifient la morale de cette fable.




              11.  — LA GRENOUILLE ET LE RAT
         Sources. — Ésope ; Corrozet ; Haudent. La Fontaine a donné
       une version en prose de cette fable dans la Vie d'Ésope le Phrygien.
         Intérêt. — Fable didactique, dans laquelle le récit illustre
       une morale indiquée familièrement au début et dégagée senten­
       cieusement à la fin. Ce récit est un modèle de pittoresque familier
       et de mouvement dramatique naturel, le caractère des deux anta­
       gonistes étant admirablement mis en relief. Modèle de fable ornée.
       On remarquera l’usage adroit fait du style indirect (29, z).
       Tel *, comme dit Merlin *, cuide engeigner autrui
              Qui souvent s’engeigne soi-même.
       J’ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd’hui,
       Il m’a toujours semblé d’une énergie extrême.
        1. Ellipse familière : puisque nous voici tombés (arrivés par hasard)
       sur ce sujet (je vous dirai encore que) on... — 2. Gradation, 23, r.
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