Page 189 - Les fables de Lafontaine
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LE SINGE ET LE DAUPHIN 185
C’était, chez les Grecs, un usage
Que, sur la mer, tous * voyageurs
Menaient avec eux en voyage
Singes et chiens de bateleurs *.
Un navire, en cet équipage *, 5
Non loin d’Athènes fit naufrage.
Sans les dauphins *, tout eût péri.
Cet animal est fort ami
De notre espèce ; en son Histoire
Pline1 le dit, il faut le croire. 10
2
Il1 sauva donc tout ce qu’il put.
Même un Singe, en cette occurrence,
Profitant de la ressemblance,
Lui pensa * devoir son salut :
Un Dauphin le prit pour un homme 15
Et sur son dos le fit asseoir,
Si gravement, qu’on eût cru voir
Ce chanteur que tant on renomme 3.
Le dauphin l’allait mettre à bord *,
Quand, par hasard, il lui demande : 20
— « Êtes-vous d’Athènes la grande ?
— Oui, dit l’autre, on m’y connaît fort ;
S’il vous y survient quelque affaire,
Employez-moi, car mes parents
Y tiennent, tous, les premiers rangs ; 25
Un mien cousin est juge-maire *. »
Le Dauphin dit : « Bien * grand merci ;
Et le Pirée 4 a part aussi
A l’honneur de votre présence ?
Vous le voyez souvent, je pense ? 30
— Tous les jours, il est mon ami,
C’est une vieille connaissance. »
Notre magot * prit, pour ce coup,
Le nom d’un port pour un nom d’homme.
1. Pline l’Ancien, dans son Histoire Naturelle. — 2. Il : cet animal,
les dauphins. — 3. Que tant on renomme, dont la renommée est si
grande. Il s’agit d’Arion, célèbre musicien et poète grec qui fut jeté
par-dessus bord par des marins voleurs et sauvé par un dauphin. —
4. Le principal des trois ports d’Athènes.