Page 184 - Les fables de Lafontaine
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i8o FABLES. — LIVRE QUATRIÈME
Quand la marierons-nous ? quand aurons-nous des gendres ?
Bonhomme *, c’est ce coup qu’il faut, vous m’entendez*,
Qu’il faut fouiller à l’escarcelle *. »
Disant ces mots, il fait connaissance avec elle, 25
Toutes sottises dont la belle
Se défend avec grand respect.
Cependant, on fricasse, on se rue * en cuisine.
— « De quand sont vos jambons ? ils ont fort bonne mine,
— Monsieur*, ils sont à vous. — Vraiment! dit le
[Seigneur, 30
Je les reçois et de bon cœur. »
Il déjeune très bien, aussi fait * sa famille *,
Chiens, chevaux et valets, tous gens bien endentés.
Il commande chez l’hôte, y prend des libertés
Boit son vin, caresse sa fille. 35
L’embarras * des chasseurs succède au déjeuner.
Chacun s’anime et se prépare.
Les trompes et les cors font un tel tintamarre
Que le bonhomme est étonné *.
Le pis fut 5 que l’on mit en piteux équipage * 40
Le pauvre potager : adieu, planches, carreaux * !
Adieu, chicorée et poireaux!
Adieu, de quoi * mettre au potage *!
Le Lièvre était gîté dessous * un maître * chou.
On le quête *, on le lance *, il s’enfuit par un trou, 45
Non pas trou, mais trouée, horrible et large plaie
Que l’on fit à la pauvre haie
Par ordre du Seigneur ; car il eût été mal
Qu’on n’eût pu, du jardin, sortir tout * à cheval.
Le bonhomme disait : — « Ce sont là jeux de prince *. » 50
Mais on le laissait dire ; et les chiens et les gens
Firent plus de dégât en une heure de temps
Que n’en auraient fait en cent ans
Tous les lièvres de la province *!
Petits Princes *, videz * vos débats entre vous. 55
De recourir aux rois, vous seriez de grands fous.
5. Enallage, 23, n.