Page 181 - Les fables de Lafontaine
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LA MOUCHE ET LA FOURMI 177
3. — LA MOUCHE ET LA FOURMI
Sources. — Phèdre ; Corrozet ; Haudent.
Intérêt. — Cette fable est une joute oratoire : à une apologie
de la Mouche par elle-même, répond une réfutation, par la Fourmi.
Tout l’intérêt est dans l’ingéniosité de l’argumentation de part
et d’autre. L’éloge d’objets hétéroclites : la puce, la mouche, la
peste, etc., était de tradition dans la rhétorique ancienne, ainsi
que les réfutations qui, jointes au discours réfuté, formaient une
antilogie ; c’est précisément ce que nous avons ici.
La Mouche et la Fourmi contestaient * de leur prix *.
— « O Jupiter! dit la première,
Faut-il que l’amour-propre aveugle les esprits
D’une si terrible manière,
Qu’un vil et rampant animal 5
A la fille de l’air ose se dire égal!
Je hante * les palais ; je m’assieds à ta table1 ;
Si l’on t’immole un bœuf, j’en goûte devant * toi,
Pendant que celle-ci, chétive * et misérable *,
Vit trois jours d’un fétu 2 qu’elle a traîné chez soi. 10
Mais, ma mignonne * 3, dites-moi,
Vous campez-vous jamais sur la tête d’un roi,
D’un empereur ou d’une belle * ?
Je rehausse d’un teint la blancheur naturelle 4,
Et la dernière main que met à sa beauté 15
Une femme allant en conquête,
C’est un ajustement * des mouches emprunté.
Puis, allez *-moi rompre * la tête
De vos greniers 5 ! — Avez-vous dit 6 ?
Lui répliqua la ménagère *. 20
Vous hantez * les palais, mais on vous y maudit.
Et, quant à goûter la première
1. Elle s’adresse toujours à Jupiter. — 2. En réalité, la fourmi est
carnivore. — 3. Elle s’adresse à la fourmi. — 4. Allusion aux « mouches »,
petits morceaux de satin noir que les femmes se collaient sur le visage
pour rehausser la blancheur de leur teint. — 5. Allusion aux réserves
de la fourmi. — 6. Expression familière et impertinente : avez-vous fini ?