Page 18 - Les fables de Lafontaine
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           reux (Fable 1, livre IV) ; il y rencontre le duc de La Rochefoucauld,
           auteur des Maximes, qu’il voit aussi à l’Hôtel de Liancourt, où
           il a ses grandes et petitesjentrées. Il s’attache à La Rochefoucauld
           d’une affection particulière, mêlée d’admiration et de sympathie
           et bien révélatrice de sa tournure d’esprit. Il affirmera publique­
           ment ces sentiments dans l’Homme et son Image (Fable 11 du
           livre I) et dans le Discours à M. le duc de La Rochefoucauld (Fable 14
           du livre X).
             Depuis 1660, il est lié avec Racine et Molière, sans doute aussi
           avec Boileau qui a pris résolument sa défense, au moment des
           Nouvelles, dans une anonyme Dissertation sur Joconde. On aime
           voir ce groupe des quatre grands classiques dans le premier éclat
           de leur gloire : La Fontaine au moment de ses premiers Contes
           et préparant ses Fables de 1668 ; Molière à l’époque du Misan­
           thrope ; Racine méditant Andromaque, et Boileau dans le feu
           de ses premières satires ; on voudrait les suivre dans quelque
           promenade aux environs de Paris et, pourquoi pas ? dans les bois
           de Versailles où Louis XIV, lui aussi dans son matin triomphant,
           médite l’apothéose de son règne et de la France. Ouvrons les
           Amours de Psyché, roman en prose mêlée de vers que La Fontaine
           a publié en 1669. Merveilleux à-propos des poètes ! On y voit préci­
           sément « quatre amis dont la connaissance avait commencé par
           le Parnasse » et qui ont ainsi lié « entre eux une espèce de société
           que j’appellerais académie, si leur nombre eût été plus grand ».
           Ces quatre amis se promènent, juste comme nous le souhaitions,
           dans les bosquets de Versailles. La Fontaine les nomme Polyphile,
           Acante, Gélaste et Ariste.
            Polyphile, nul doute, c’est La Fontaine lui-même, celui « qui
           aime tout », comme il le dit si joliment à la fin du volume :
                 J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique,
                 La ville, la campagne, enfin tout, il n’est rien
                       Qui ne me soit souverain bien,
                 Jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique.
            Gélaste, « celui qui fait rire », comment ne serait-ce pas Molière ?
           Quant à Acante et Ariste, rien n’empêche qu’ils soient Racine et
           Boileau.
            Ainsi, penché sur les Amours de Psyché, on rêve à la destinée
          de ces hommes, à la destinée de ce siècle et de ce pays. Mais les
          érudits veillent : ils ont prouvé que Ja rencontre en ce lieu, à
          ce moment, de ces hommes, était impossible ; s’ils n’ont pu refuser
          à Polyphile d’être La Fontaine, du moins ont-ils retiré à Molière,
          Racine et Boileau tout droit à être Gélaste, Acante et Ariste.
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