Page 15 - Les fables de Lafontaine
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INTRODUCTION                 il

       accepter, mais qui vaudra, à cet homme du monde exquis, une
       tenace réputation de distraction et même de rusticité. A l’inverse
       de l’Ane de sa fable :
                 Jamais un lourdaud, quoi qu’il fasse,
                 Ne saurait passer pour galant,
       il est le galant qui se fait passer pour lourdaud pour esquiver les
       contraintes qu’il juge fâcheuses.
         Dans l’entourage de Fouquet, La Fontaine enrichit singulière­
       ment ce trésor de relations qui, de plus en plus, constitue le meil­
       leur de sa fortune. Le monde entier, comme on disait alors, se
       bouscule autour du fastueux Mécène : Mme de Sévigné, Mme de
       La Fayette, les d’Herwart, le Grand Corneille flanqué de son
       frère Thomas y coudoient Sapho, c’est-à-dire Madeleine de
       Scudéry ; Ménage, qui est savant et précieux ; Charles Sorel,
       qui est burlesque et antiprécieux ; Boisrobert, abbé galant, ancien
       factotum littéraire de Richelieu et fondateur de l’Académie ;
       Scarron, burlesque, romanesque, tragique et comique, avec cela
       cul-de-jatte ; le docte P. Lemoyne ; le vieux Costar, ami de feu
       l’illustre M. de Balzac ; le romancier Gombaud ; les poètes
       Brébeuf, Boyer, Félibien ; Quinault, qui fait des tragédies en
       attendant de faire des opéras avec Lulli ; Charles Perrault, futur
       champion des Modernes contre les Anciens, qui restera, pour
       la postérité populaire, l’auteur des Contes de Fées ; Benserade,
       ancien « palatin de la Table Ronde » qui « madrigalise » sur tous
       les tons ; et Pellisson, autre « palatin » de la Table Ronde, qui est
       laid, protestant, pieux, adorateur de Sapho et qui est important
       parce qu’il a la confiance du maître.
         A vrai dire, la mode littéraire, chez Fouquet, portait aux grâces
       rétrogrades. La Fontaine y sacrifiait sans se faire prier, sinon de
       bon cœur, écrivant rondeaux sur madrigaux, ballades sur épîtres,
       épigrammes et odes sur dizains et sizains, un ballet-féerie : les
       Rieurs du Beau-Richard, le Songe de Vaux qui restera inachevé
       parce que tout ce monde fut bientôt réveillé en sursaut, mille
       choses légères qui s’envolaient aux vents de la vie mondaine. Mais
       il acquiert ainsi cette souplesse de forme et d’esprit qui fera mer­
       veille- dans les Fables : Diversité, c’est ma devise.
         Cependant, au moment où il brille au premier rang, il se pré­
       pare secrètement à fausser compagnie à ces précieux, ces géné­
       reux, ces romanesques, ces burlesques. Son goût, très sûr, nourri
       de la lecture des Anciens et de Descartes, le portait vers un art
       de vérité, de raison, de mesure. Il en eut la révélation parfaite le
        17 août 1661. Ce jour-là, Fouquet recevait à Vaux le roi Louis XIV
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