Page 12 - Les fables de Lafontaine
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8          LES FABLES DE LA FONTAINE

             qu’il connaîtra mieux que personne en son temps. Il y a bien du
             pêle-mêle en tout cela : mais ce fut toujours sa mode ; c’étaient
             comme des broussailles où il se jetait pour en émerger tout douce­
             ment, car il n’était point pressé.
               5 LA DEUXIÈME ERREUR : LE MARIAGE (1647). —
             Cependant le temps est venu où il convient qu’il se range. C’est
             du moins l’avis de son père qui se sent vieillir et qui voudrait le
             caser. A 26 ans, Jean n’a point d’état. Pour commencer, on le
             marie tambour battant avec une très jeune fille d’excellente famille,
             Marie Héricart.
               Celle-ci apporte à son époux l’inexpérience totale de ses 14 ans
             une dot considérable de 30.000 livres et une belle parenté champe­
             noise qui rayonne jusqu’à Paris. Les Héricart étaient en effet
             alliés aux Pintrel et aux Jannart. Les Pintrel étaient alliés aux
             Racine de La Ferté-Milon et Jean Racine, alors âgé de 8 ans,
             devint, de par ce mariage, cousin à la mode de Bretagne du futur
             auteur des Fables, étant petit-neveu d’un Oger Pintrel qui était
             en même temps grand-oncle de Marie Héricart. Quant aux Jannart,
             ils occupaient à Paris des situations en vue.
               Riche de la dot de sa femme, de sa part des biens maternels
             et d’une promesse de 10.000 livres de son père, La Fontaine
             faisait, en apparence, le plus raisonnable des mariages. Ce fut
             pourtant l’une des pires folies auxquelles il se soit laissé entraîner.
             Au début, on mène grand train à Château-Thierry, à Reims,
             à Paris. Marie Héricart ouvre un salon littéraire ; Jean se plonge
             dans l’étude des Anciens, compose une traduction libre, en vers,
             de l’Eunuque de Térence, qui est sa première œuvre. Peu à peu,
             il reprend ses habitudes indépendantes. Il reproche à sa femme
             de ne jouer ( ?), ni ne travailler, ni ne s’occuper du ménage. Que
             faisait-elle donc ? il paraît qu’elle lisait des romans, c’était la
             mode. Marie Héricart ne devait pas non plus manquer de griefs.
             Ce qui est sûr, c’est que La Fontaine court les aventures, les
             littéraires et d’autres encore. Le budget du ménage est désastreux :
             en 1653, il faut vendre la propriété d’Oulchy-le-Château ; en 1656,
             c’est le tour de la ferme de Danmart qui appartient à Marie
             Héricart ; en 1658, les deux époux se trouvent d’accord pour
             demander la séparation de biens qu’ils obtiennent. La même année,
             la mort du père, Charles de La Fontaine, achève d’embrouiller
             la situation, car il lègue, avec de l’actif, un vrai fouillis de procès
             et de dettes (36.644 livres au total). Malgré toute sa bonne volonté,
              Jean ne put en sortir. Tout cela ira de mal en pis, jusqu’au jour
              de 1676 où, ayant vendu la maison patrimoniale à tourelles à son
              parent Antoine Pintrel, il se trouvera n’avoir plus rien du tout.
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