Page 16 - Les fables de Lafontaine
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12 LES FABLES DE LA FONTAINE
et sa cour. Les fêtes furent éblouissantes. Molière, à l’aurore de
sa carrière royale, joua les Fâcheux. La Fontaine en fut ravi. Il écrit,
le lendemain, la célèbre lettre à Maucroix, mêlée de prose et de
vers, selon sa coutume :
C’est un ouvrage de Molière.
Cet écrivain, par sa manière,
Charme à présent toute la cour.
De la façon que son nom court,
Il doit être par delà Rome.
J’en suis ravi, car c’est mon homme.
Te souvient-il bien qu’autrefois
Nous avons conclu d’une voix
Qu’il allait ramener en France
Le bon goût et l’air de Térence?
Plaute n’est plus qu’un plat bouffon,
Et jamais il ne fit si bon
Se trouver à la comédie.
Car ne pense pas qu’on y rie
De maint trait jadis admiré
Et bon in illo tempore :
Nous avons changé de méthode ;
Jodelet n’est plus à la mode,
Et maintenant il ne faut pas
Quitter la nature d’un pas.
Les Anciens, le bon goût, la nature, 'au lieu des mièvreries et
des brutalités désuètes : c’est une profession de foi classique.
La Fontaine va-t-il décidément rompre en visière avec ses alliés ?
Il n’en eut pas besoin. Le roi, poussé par Colbert, se chargea
de disperser le brillant tourbillon qui bourdonnait autour du
surintendant : le io septembre 1661, moins d’un mois après les
fêtes de Vaux, Fouquet est arrêté, emprisonné, inculpé de haute
trahison.
8. APRÈS LA DISGRACE DE FOUQUET (1661-1664). —
La chute de Fouquet porta un coup terrible à la plupart de ses
familiers. Moment sombre pour La Fontaine. Les nuages s’accu
mulent. Une maladie grave le cloue au lit pendant deux mois ;
il subit les tracas de son procès en usurpation de noblesse ; il se
signale à la malveillance de Colbert en écrivant l’Élégie aux Nymphes
de Vaux (mars 1662) ; il récidive par une Ode au Roi où il fait
appel à la clémence du souverain. Maucroix et Pellisson sont en
difficulté. A la fin, La Fontaine part pour Limoges, en exil. A
vrai dire il accompagne l’oncle Jannart. Tous deux sont sous la
garde d’un recors qui signale assez la nature de leur voyage. Le
poète dut-il quitter la capitale par ordre, ou voyage-t-il librement,