Page 14 - Les fables de Lafontaine
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IO         LES FABLES DE LA FONTAINE
            Descartes, saint Augustin et l’Astrée, se mêlant là aux Jannart
            qui vont, un temps, l’appuyer, tirant d’ailleurs cette profonde
            expérience des choses des bois et de la chasse qui mettra, derrière
            ses fables, un fond de vérité naturelle méconnue de commenta­
            teurs bien moins au courant que lui des réalités de la vie rustique.
              7 LE PREMIER PROTECTEUR: FOUQUET (1657-1661).
            — Comment La Fontaine connut-il Fouquet ? Peut-être par un
            Jannart, oncle de Marie Héricart, « l’oncle Jannart ». Ce Jannart
            était en effet dans la magistrature ; il exerçait les fonctions de
            substitut du procureur général, lequel procureur général n’était
            autre que Fouquet, qui cumulait allègrement cette importante
            charge de judicature avec ses fonctions de surintendant des finances
            et une foule d’autres. D’autre part, Pellisson, ami du poète et
            « palatin de la Table Ronde » était intimement lié avec le puissant
            surintendant, chargé par lui, dans sa maison, du département des
            Muses : autrement dit, Pellisson avait pour mission d’attirer à
            Saint-Mandé et à Vaux-le-Vicomte, résidences habituelles du
            fastueux Fouquet, les écrivains, poètes et gens de lettres de tout
            poil et de toute plume jugés dignes de bénéficier de ses faveurs.
            La vraisemblance est que Pellisson fit la courte échelle à La Fon-
            tainê qui s’appuya par surcroît de Jannart pour se pousser plus
            avant. Car il révéla toujours une grande habileté, parée de gentil­
            lesse, pour conquérir les bonnes grâces de puissants protecteurs,
            pour le plus grand profit de ses affaires et de sa carrière.
              Pour faire sa cour à Fouquet, il lui offrit son poème A’Adonis,
            calligraphié par Jarry et admirablement illustré par Chauveau,
            un des beaux manuscrits du xvne siècle. Nous sommes en 1656
            ou, plus vraisemblablement, en 1657. La Fontaine a publié son
            Eunuque en 1654, composé son Adonis, poème pastoral, et un
            conte mythologique en forme de dialogue, Clymène. Fouquet le
            distingue : il le pensionne en 1659, sous condition que les quartiers
            trimestriels seront remboursés en poèmes ; il le charge, de préfé­
            rence à vingt autres, de chanter les magnificences de Vaux, où Le
            Nôtre et Le Brun se font la main en attendant de passer au service
            du Soleil de Versailles. Et Fouquet engage La Fontaine à écrire
            des Contes.
              La Fontaine, cependant, n’habite pas les palais de Fouquet ;
            il fréquente Saint-Mandé et Vaux, mais il habite à Paris, en compa­
            gnie de sa femme, chez un ami. Il reste indépendant et trouve
            le moyen, comme il le fera toujours, de concilier les exigences
            du métier de courtisan avec cette parfaite sincérité qui est le trait
            dominant et le plus noble de son caractère. Il se sauve de la servi­
            tude par les grâces d’une nonchalance calculée qu’il sait faire
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