Page 23 - Les fables de Lafontaine
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INTRODUCTION                 19

     quasi rompu! et ceci, qui est de jadis! et cela, qui est d’hier. Le
      12 février 1693, une députation de l’Académie pénètre dans la
     chambre aux bustes. Elle a été mandée par le poète. Il s’es» confessé.
     En présence de ses collègues, La Fontaine abjure solennellement
     ses erreurs, répudie ses Contes, les qualifie d’infâmes, s’engage,
     si la santé lui est rendue, à consacrer ce qui lui restera de forces
     et de talent à des œuvres de piété.
       Mmc de La Sablière traîne encore quelque temps. La Fontaine
     se rétablit. Il compose une paraphrase du Dies Ira, qu’il lit à
     l’Académie, une paraphrase des Hymnes, qui est perdue.
       Le 16 janvier 1693, Mme de La Sablière achève de mourir. La
     Fontaine quitte définitivement la chambre aux bustes. Il va cher­
     cher asile chez les d’Herwart. Sa conversion en subit du dommage.
      • Ces d’Herwart étaient des gens extrêmement riches, sortis de la
     finance et de l’entourage de Fouquet. Le chef actuel de la maison,
     Anne d’Herwart, tâchait de faire oublier ces origines par une
     grande dépense et le goût des arts, en particulier de la musique.
     Héberger La Fontaine n’était pas une mauvaise affaire pour lui.
      Mmc d’Herwart était extrêmement jolie. Le poète se mit à la
      chanter sous le nom de Sylvie et le voilà derechef poète courtisan,
      rue Plâtrière, où les d’Herwart ont un magnifique hôtel, à Bois-
      le-Vicomte où ils ont un château en rapport avec l’hôtel. Au
      début de 1694, il publie son troisième recueil de Fables. C’est
      notre livre XII. C’est aussi la dernière publication du poète. En
      décembre 1694, sa santé se gâte de nouveau. Le 10 février 1695,
      il écrit à Maucroix le billet connu, le dernier qu’il ait écrit :
       « Tu te trompes assurément, mon cher ami, s’il est bien vrai,
      comme M. de Soissons (un neveu de La Rochefoucauld) me l’a dit,
      que tu me croies plus malade d’esprit que de corps. 11 me l’a dit
      pour.tâcher de m’inspirer du courage ; mais ce n’est pas de quoi
      je manque. Je t’assure que le meilleur de tes amis n’a plus à compter
      sur quinze jours de vie. Voilà deux mois que je ne sors point, si
      ce n’est pour aller un peu à l’Académie, afin que cela m’amuse.
      Hier, comme j’en revenais, il me prit, au milieu de la rue du
      Chantre, une si grande faiblesse, que je crus véritablement mourir.
      O mon cher ! mourir n’est rien ; mais songes-tu que je vais compa­
      raître devant Dieu ? Tu sais comme j’ai vécu. Avant que tu reçoives
      ce billet, les portes de l’éternité seront peut-être ouvertes pour moi. »
       Il eut cependant le temps de recevoir la réponse de son vieil
      ami. Maucroix disait :
                                       « 14 février 1695.
        « Mon cher ami, la douleur que ta dernière lettre me cause est
      telle que tu la dois imaginer. Mais en même temps, je te dirai
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