Page 25 - Les fables de Lafontaine
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INTRODUCTION                 21

         Quant aux haires et disciplines dont il aurait usé après sa conver­
       sion, voici ce qu’en écrit Boileau à Maucroix, le 29 avril 1695,
       quelques jours après la mort de La Fontaine :
         « Les choses hors de créance qu’on m’a dites de M. de La
       Fontaine sont à peu près celles que vous avez devinées, je veux
       dire que ce sont ces haires, ces cilices et ces disciplines dont on
       m’a assuré qu’il usait fort fréquemment, et qui m’ont paru d’autant
       plus incroyables de notre défunt ami que jamais rien, à mon avis,
       ne fut plus éloigné de son caractère que ces mortifications. Mais
       quoi ? la grâce de Dieu ne se borne pas aux simples changements,
       et c’est quelquefois de véritables métamorphoses qu’elle fait. »
         Boileau s’étonne, mais ne nie pas. Nous pouvons en faire autant.
         S’il est apparu « grossier, lourd, stupide » à La Bruyère (1691),
       qui l’aura peut-être rencontré à l’Hôtel de Condé ou à Chantilly,
       il faut se rappeler que La Bruyère peint un vieillard de 70 ans,
       qu’il fait une antithèse et que, par surcroît, La Fontaine s’est
       peut-être peu soucié de se mettre en frais pour Fauteur
        des Caractères.
         Dans la réalité de l’histoire, La Fontaine était un parfait honnête
       homme, au sens du xvnc siècle, c’est-à-dire un parfait homme
        du monde, et un courtisan des plus adroits et des plus fins. Nul
       écrivain ne fut mieux accueilli dans un meilleur monde ni dans
        plus de maisons : à la cour, chez M. le Prince, Conti, au Luxem­
        bourg, à l’Hôtel Liancourt, chez les Bouillon, Mme de La Fayette,
        Mme de Sévigné, Mme de La Sablière, Fouquet, à l’Académie,
        sans parler des déplorables Vendôme.
         Il eut des embarras dans ses affaires ; encore sa correspondance
        révèle-t-elle qu’il fit de son mieux pour s’en débrouiller et il
        répara par les avantages de l’esprit ce qu’il perdit par l’insuffi­
        sance de son génie pratique.
         Il sut concilier avec une merveilleuse adresse l’art de plaire
        et le souci de la vérité, le service des grands et l’indépendance.
         Mais il avait une pente irrésistible au plaisir, un grand dégoût
        des devoirs modestes de la vie bourgeoise, un manque déplaisant
        de dignité morale : d’où sa conduite à l’égard de sa femme (encore
        fût-ce par consentement mutuel) et de son fils (encore son meilleur
        ami Maucroix en fut-il chargé).
         Avec tout cela, il était « bonhomme », c’est-à-dire doux, facile,
        dénué de jalousie et de rancune, le plus agréable ami qu’on pût
        imaginer. Et il avait, au plus haut degré, une vertu qui n’est pas
        si commune : une parfaite sincérité. « C’était, dit Maucroix, l’âme
        la plus sincère et la plus candide que j’aie jamais connue. Jamais
        de déguisements. Je ne sais s’il a menti en sa vie. »
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