Page 30 - Les fables de Lafontaine
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26 LES FABLES DE LA FONTAINE
la fin de la satire 6 du livre II, il s’amuse à faire bavarder longue
ment un de ses voisins de campagne, et c’est ce parfait chef-d’œuvre :
le Rat de ville et le Rat des champs, devant lequel La Fontaine
baisse pavillon.
Dans l’Inde et en Asie circulait un recueil de fables : le Pantcha-
Tantra, ce qui veut dire simplement : les Cinq Chapitres. Rédigé
en sanscrit au 111e siècle av. J.-C,, par le brahmane Vischou-
Sarma, pour le fils du roi des Indes, le Pantcha-Tantra fut traduit
en vieux persan, au VIe siècle et en arabe au VIIIe siècle. Le tra
ducteur arabe attribue l’ouvrage à un certain Pilpay (ou Bidpay)
qui est de son invention. C’est un trait constant de l’histoire de la
fable que cette démangeaison des traducteurs ou adaptateurs
d’inventer des auteurs destinés à donner du lustre à des œuvres
qui n’en avaient guère. On verra que le moyen âge n’y a pas
manqué. Pas davantage n’est authentique le sage Lochman, en qui
La Fontaine subodore un avatar d’Esope. Sous ces formes et ces
autorités diverses, le Pantcha-Tantra courut l’Asie, pénétra en
Chine et, avec les Arabes d’Espagne, s’introduisit en Europe.
En 1644, un orientaliste, sans doute Gaulmin, le publia en traduc
tion française, non sans inventer un nouveau nom, sous le titre :
le Livre des Lumières, ou la conduite des rois, composé par le sage
Pilpay, Indien, traduit en français par David Sahib, d'Ispahan,
ville de Perse. En 1666, un autre orientaliste, le P. Poussines
publie une seconde traduction, mise sous le couvert du sage
Lochman : le Modèle de la sagesse des anciens Indiens. Pilpay et
Poussines sont deux sources importantes, le premier surtout, du
deuxième recueil de La Fontaine, celui de 1678-1679. Poussines
et Gaulmin ont fort abrégé leur modèle qui, contrairement aux
fabulistes méditerranéens, est prolixe et touffu au dernier point.
Le moyen âge fut, plus que tout autre, une époque férue d’ensei
gnement moral. La fable y prolifère. Sans parler des Bestiaires,
Volucraires et Lapidaires qui moralisent à qui mieux mieux à pro
pos de bêtes, d’oiseaux et de pierres, la fable elle-même apparaît
dès le Xe siècle, dans le Romulus. C’est un recueil de 83 fables
adaptées en prose latine de Phèdre et d’Avianus. Quelque copiste
mit à l’œuvre un panache de sa façon en l’attribuant à Romulus
Augustule, dernier empereur d’Occident. Le succès en fut im
mense : copié, imité, adapté de tous côtés, il fut enfin versifié
en vers élégiaques par Walther, chapelain du roi Henri II d’Angle
terre, en 1177. En 1610, Nevelet traduisit en français les vers
de Walther, mais, ignorant le nom de l’auteur, il les mit sous la
rubrique Anonyme. L’Anonyme de Nevelet est une source impor
tante de La Fontaine.
Le Romulus, ses adaptations en prose ou en vers, sont en latin.