Page 28 - Les fables de Lafontaine
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           cesse : cinq fois pour les Contes (1664, 1665, 1671, 1675, 1691),
           trois fois pour les Fables (1668, 1678-1679, 1694). On remarquera,
           au passage, que contrairement à un préjugé, la composition des
           Contes et celle des Fables sont allées sans cesse de pair.
            Pour la postérité, La Fontaine est presque uniquement l’auteur
           des Fables, le public, comme La Reynie en 1675, ayant rejeté
           dans « l’Enfer » l’extrême licence des Contes.

            16.  LA FABLE AVANT LA FONTAINE. PRÉDÉCES­
           SEURS ET SOURCES. — Une erreur d’optique, suggérée
  ■ .      systématiquement par La Fontaine, nous fait croire que, en écrivant
           ses fables, il s’est placé dans une tradition littéraire qu’il s’est
           contenté de renouveler avec génie.
            En réalité, la fable, avant La Fontaine, n’était pas un genre, mais
           simplement un procédé de pédagogie morale, utilisé dans l’ensei­
           gnement, la littérature didactique et, par ricochet, la littérature
           satirique. Aucun auteur d’Art poétique, d’Horace à Vauquelin de
           La Fresnaye (dont VArt poétique est de 1605), ne se soucie de la
           fable. On ne doit pas trop s’étonner que, six ans après le premier
           recueil de La Fontaine, l’Art poétique de Boileau (1674) n’en souffle
           pas mot davantage. Boileau jugeait, sans doute, qu’une hirondelle
           ne fait pas le printemps et que le succès d’un livre ne crée pas
           un genre. En quoi il avait tort (voir Manuel Pratique de Littérature,
           Ier volume, n° 83-84). Car, de ce qui n’était qu’une sorte de figure
           de style empruntée à la plus ancienne tradition pédagogique,
           rien n’étant plus naturel que de raconter des histoires aux enfants
           et aux foules pour leur faire comprendre et retenir un enseignement
           moral, La Fontaine a bel et bien tiré un genre littéraire dont
           on peut le dire, à bon droit, l’auteur.
     .      En Grèce, la fable ressortit à la littérature gnomique, qui
           comprend les sentences et apophtegmes des Sept Sages avec les
           fables d’EsoPE. On ne sait rien de certain d’Esope, ni s’il a existé,
           ni s’il était de Phrygie ou de Samos, s’il a été esclave, s’il a été mis
           à mort par les Delphiens, comme le veut sa légende. Sa vie, racontée
           par Planude et traduite par La Fontaine, est tardive, et, si elle
           utilise des sources beaucoup plus anciennes, ces sources sont
           encore tardives par rapport à Esope, lequel, s’il a vécu, a dû vivre
           au VIe siècle av. J.-C. Ce qui est sûr, c’est que les fables ésopiques
           ont circulé longtemps oralement dans les écoles de la Grèce et
           dans la littérature jusqu’au IVe siècle av. J.-C., où Démétrius de
           Phalère en composa le premier recueil. C’est ce recueil qu’édita
           Planude, moine grec du xive siècle, en y joignant la vie légendaire
           d’Esope, et c’est dans l’édition de Planude que La Fontaine a lu
           Esope.
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