Page 29 - Les fables de Lafontaine
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INTRODUCTION                 25

        Les fables d’Esope sont pédagogiques, non littéraires. Le récit
      est bref et sec ; une formule monotone : « cette fable montre... »
      introduit la morale. Le tout en prose.
        Elles furent reprises, à Rome, par un Grec, esclave, puis affranchi
      d’Auguste (ier siècle ap. J.-C.), nommé Phèdre ; il les mit en vers
      en les colorant de quelques touches pittoresques et, surtout, en
      les animant de son esprit satirique. Mais il reste fort sec et passa
      totalement inaperçu.
        Au IIIe ou au ive siècle, d’autres disent au 11e siècle, un certain
      Flavius Avianus traduisit en latin les fables, non d’Esope, mais
      d’un auteur grec qui avait repris à sa façon la tradition d’Esope
      et composé des fables de son cru ; les fables latines d’Avianus
      furent réduites en quatrains, à l’usage des écoliers, par un évêque
      de Nicée, nommé Ignatius Magister. Ces quatrains devinrent popu­
      laires au moyen âge et furent attribués à un Gabrias. Ce Gabrias
      mythique, ainsi qu’Avianus, spnt des sources de La Fontaine.
        Mais il a ignoré l’auteur grec authentique qui est la source
      d’Avianus et des quatrains du prétendu Gabrias. Ce Grec s’appelait,
      non Gabrias, mais Babrius ; son œuvre remonte apparemment au
      11e siècle.; elle n’a été découverte qu’en 1844, par l’érudit Minoïde
      Minas, dans un couvpnt du mont Athos. Le manuscrit qui conte­
      nait les fables de Babrius avait été rejeté dans un lieu dégoûtant
      et personne n’y attachait la moindre importance. C’est un manus­
      crit du xvie siècle qui donne 136 fables, en deux livres dont le
      dernier est incomplet. L’œuvre entière devait comporter dix
      livres. Babrius a connu le recueil ésopique de Démétrius de
      Phalère ; il imite Esope, mais avec art ; bien qu’il reste fort sec
      dans l’ensemble, il donne cependant une certaine ampleur au
      récit et l’une des fables qui nous reste s’étend sur 102 vers.
        Vers la fin du IVe siècle, un Grec d’Antioche, Aphthonius,
      compose à son tour un recueil de fables dont tout le mérite est
      d’être une source importante de La Fontaine.
        Cependant, à Rome, tout le monde ignore le malencontreux
      Phèdre. Pour les Latins, même pour Quintilien, auteur des plus
      chauvins, il n’existe qu’un seul recueil de fables, celui d’Esope,
      et la fable n’est qu’un moyen d’orner le discours, utilisé diverse­
      ment par toute sorte d’écrivains : Ennius, Lucilius, Cicéron et,
      surtout, Horace (ier siècle av. J.-C.). Celui-ci se plaît, dans ses
      Satires et ses Epîtres, à prendre le ton de la conversation, Musa
      pedestris, et la fable est un de ces éléments pittoresques dont la
      causerie aime s’aviver, quelque chose comme le « folklore » moral
      des gens qui parlent ; certaines épîtres d’Horace sont un tissu
      de fables, la plupart brièvement esquissées, car tout le monde
      sait de quoi il s’agit et une allusion suffit. Un jour, cependant, à
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