Page 34 - Les fables de Lafontaine
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3°         LES FABLES DE LA FONTAINE

           Fables d'Esope phrygien, moralistes. Quelque chose des souffles
           généreux de l’époque passe dans le titre de l’œuvre publiée
           en 1648 par Audin, prieur de couvent : Fables héroïques, comprenant
           les véritables maximes de la politique et de la morale. Toujours à
           la même époque, un Jacques Régnier, qu’il ne faut pas confondre
           avec l’illustre satirique Mathurin Régnier, publie les Apologi
           Phædrii, à Dijon (1643). La Fontaine l’a consulté.
             Yï îaut mettre a part Je régent, c'est-à-dire le professeur de
            collège Meslier, qui était prêtre. Celui-ci a publié, en 1629, les
            Æsopi fabulez grœcee, latince, traduites en prose française. Cela est
            narré dans un style savoureux, réaliste, pittoresque, au vocabu­
            laire archaïque qui semble dp xvie siècle ; l’œuvre eut du succès
            dans les collèges ; peut-être La Fontaine eut-il son « Meslier »
            entre les mains au collège de Château-Thierry. Il en fit du moins
            une source importante de son œuvre.
              Il est donc fort possible que la fable soit arrivée à La Fontaine
            par la voie toute normale d’un recueil pédagogique. Il n’a d’ailleurs
            pas fait autre chose, si l’on veut bien y prendre garde, que d’adapter
            en vers de sa façon, comme tant d’autres, le fond traditionnel des
            fables, pour des fins pédagogiques. Mais il s’est trouvé que, cette
            fois, l’adaptateur a fait briller le genre obscur de la fable de tous
            les feux du génie.

              17. COMMENT LA FONTAINE FUT-IL AMENÉ A
            ÉCRIRE DES FABLES? — Au milieu du xvne siècle, la fable
            n’était donc en aucune façon un genre littéraire et ne l’avait jamais
            été. Esope, Phèdre, le Romulus, les Ysopets, les recueils humanistes,
            les recueils pédagogiques, tout cela relevait de l’érudition ou de
            l’enseignement ; la fable n’entrait dans la littérature que par la
            bonne grâce d’un Horace, d’un Marot, d’un Rabelais ou d’un
            Mathurin Régnier, qui consentaient à en ramasser quelques-unes
            au passage pour en orner leur discours et amuser l’imagination
            du lecteur de ces « contes d’enfant ». Le Christ, le divin pédagogue,
            n’avait pas procédé autrement quand il narrait ses paraboles,
            suivant une tradition inaugurée par les prophètes, ouvrant la voie
            aux apologues des Menot, des Maillard et des Raulin. Ce n’est
            pas Esope ni Phèdre qui ont poussé La Fontaine,c’est La Fontaine
            qui a tiré Phèdre et Esope.
              Dans ces conditions, la question se pose : comment La Fontaine
            a-t-il été amené à écrire des fables ?
              Il semble que la chose se soit faite le plus naturellement du
            monde. La Fontaine, sans doute incité par Fouquet, écrit des
            contes, inspirés de Boccace et de l’Arioste ; il suit là une tradition
            des plus fermes : conteurs et nouvellistes abondent dans la litté-
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