Page 35 - Les fables de Lafontaine
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INTRODUCTION 31
rature humaniste. Chez nos conteurs du XVIe siècle, il rencontre
quelques fables et, comme eux, il les cueille au passage. Peut-
être même peut-on essayer de serrer la vérité de plus près : la
première fable qu’il ait écrite est, à peu près certainement, le
Meunier, son Fils et l'Ane, qui ouvre aujourd’hui le livre III. Cette
fable, inspirée du Pogge, est plutôt un conte. La Fontaine l’insère
dans une épître à son ami Maucroix qui semble bien remonter
a 1647. ^ous aurions là, pour ainsi dire, le point de bifurcation
des contes vers les fables, bifurcation toute naturelle par le moyen
d’une épître.
Le succès fit le reste. La Fontaine lisait ses fables bien avant
de les publier. C’était alors l’usage des écrivains. Il les lisait dans
le cercle de Mme de La Fayette (donc de Mme de Sévigné), chez
Fouquet, à l’Hôtel de Liancourt où La Rochefoucauld s’est établi
à partir de 1656, ailleurs. C’est ce public qui fit fête le premier
aux fables et le décida à la publication.
D’autres circonstances l’encouragèrent. Le Ier avril 1661,
Louis XIV eut un fils, celui qui sera plus tard le Grand Dauphin.
Grand remue-ménage dans le monde des lettres. L’éducation d’un
fils de France était alors une affaire nationale. Chacun pense à
porter pierre à l’ouvrage. La Fontaine achève son recueil et le
dédie, en 1668, au dauphin, alors âgé de 7 ans. Il fait ainsi preuve
de « civisme », comme on dira plus tard, et se montre bon courtisan.
Mais en voilà assez, pense-t-il, pour les « contes d’enfant ».
Dans son épilogue au livre VI il met le point final à sa production
de fabuliste :
Bornons ici notre carrière...
Le public ne l’entend pas ainsi. Le succès du recueil de 1668
fut éclatant ; les éditions s’enlèvent. C’est le plus grand succès
de librairie du siècle (37 éditions en tout). On réclame de toutes
parts de nouvelles fables à l’auteur ; il se laisse faire, c’est son
habitude. D’où le deuxième recueil de 1678-1679 et, par un
suprême rebondissement, le troisième recueil de 1694, dernier
ouvrage du poète. ■>
18. L’ORIGINALITÉ DE LA FONTAINE DANS LA
FABLE.— C’est par son génie de conteur, admirablement servi par
les ressources de son style et de sa versification, que La Fontaine a
élevé la fable à la dignité de genre littéraire. Il n’en a point changé
la destination, c’est toujours une œuvre morale qui oscille entre
la pédagogie, le discours moral à l’usage d’un public plus âgé et
la satire. Mais il en a profondément modifié la technique. Avec lui,
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