Page 172 - Les fables de Lafontaine
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168 FABLES. — LIVRE TROISIÈME
les Facéties de Pogge *. S’il fait rire, il est bon ; mais il est certain
qu’il ne fait pas rire tout le monde, malgré les frais de malice et
de mise en scène faits par La Fontaine.
Je ne suis pas de ceux qui disent : « Ce n’est rien,
C’est une femme qui se noie. »
Je dis que c’est beaucoup, et ce sexe vaut bien
Que nous le regrettions, puisqu’il fait notre joie.
Ce que j’avance * ici n’est point hors de propos, 5
Puisqu’il s’agit, dans cette fable,
D’une femme qui, dans les flots,
Avait fini ses jours par un sort * déplorable.
Son époux en cherchait le corps
Pour lui rendre, en cette aventure *, 10
Les honneurs de la sépulture.
Il arriva que, sur les bords
Du fleuve, auteur de sa disgrâce *,
Des gens se promenaient, ignorants l’accident.
Ce mari donc, leur demandant 15
S’ils n’avaient, de sa femme, aperçu nulle trace :
— « Nulle, reprit l’un d’eux ; mais cherchez-la plus bas,
Suivez le fil de la rivière. »
Un autre repartit : « Non! ne la suivez pas,
Rebroussez plutôt en arrière1 f 20
Quelle que soit2 la pente et l’inclination *
Dont l’eau par sa course l’emporte 3,
L’esprit de contradiction
L’aura fait flotter d’autre sorte 4. »
Cet homme se raillait assez hors de saison *. 25
Quant à l’humeur * contredisante,
Je ne sais s’il avait raison,
Mais, que cette humeur soit, ou non,
Le défaut du sexe * et sa pente,
1. Pléonasme, 24, f. — 2. Accord, 29, a. — 3. Comprenez: quelle
que soit la pente du cours d’eau qui l’emporte. — 4. D’autre sorte : en
sens inverse.