Page 168 - Les fables de Lafontaine
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164         FABLES. — LIVRE TROISIÈME

             Des fossés du château faisant leurs galeries *,
             Tantôt on les eût vus côte à côte nager,
             Tantôt courir sur l’onde4, et tantôt se plonger,
             Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies 1.   10
                                                  2

             Un jour, le Cuisinier, ayant trop bu d’un coup,
             Prit pour oison le Cygne, et, le tenant au cou,
             Il allait l’égorger, puis le mettre en potage *.
             L’oiseau, prêt * à mourir, se plaint en son ramage 3 *

                                                         .
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                     Le Cuisinier fut fort surpris          15
                     Et vit bien qu’il s’était mépris.
             — « Quoi! je mettrais, dit-il, un tel chanteur en soupe!
             Non, non! ne plaise aux dieux 4 que jamais ma main coupe
                     La gorge 6, à qui s’en sert si bien. »
             Ainsi, dans les dangers qui nous suivent en croupe 6,  20
                     Le doux parler 7 ne nuit de rien.
               Exercice complémentaire. — Refaites la narration de cette
             fable, en tâchant de la rendre naturelle, pittoresque et dramatique.



                     13.  — LES LOUPS ET LES BREBIS
               Sources. — Ésope ; Aphthonius ; Anonyme ; Haudent. La
             Fontaine a déjà cité cette fable dans sa Vie d’Ésope le Phrygien.
               Intérêt. — Tableau d’histoire d’un mouvement oratoire sou­
             ligné par l’alexandrin.
               1. La Fontaine traduit les vers 9 et 10 des Géorgiques de Virgile
             (I, 386-387) où le poète peint les oiseaux de mer : « On les voit tantôt
             offrir leur tête aux flots, tantôt courir vers les ondes, avec l’envie folle
             de se baigner sans relâche. » La traduction de La Fontaine, appliquée
             au cygne et à l’oison, n’offre guère de sens. -— 2. Ici finit l’entrée en
             matière, démesurée, puisqu’elle remplit la moitié delà fable.— 3. C’était
             une croyance antique, mais fausse, que les cygnes, au moment de mourir,
             exhalaient un chant mélodieux. — 4. Subjonctif sans que, 29, a. —
             5. Enjambement, 27, b. — 6. Autre réminiscence latine : « Post equitem
             sedet atra cura », dit Horace, ce que Boileau traduit : « Le chagrin
             monte en croupe et galope avec lui. » L’idée est que l’homme ne peut
             fuir les soucis, même au galop du meilleur cheval. — 7. Infinitif avec
             l’article, 29, j.
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