Page 163 - Les fables de Lafontaine
P. 163
LA GOUTTE ET L’ARAIGNÉE 159
Telles * gens 3 n’ont pas fait la moitié de leur course 4
Qu’ils sont au bout de leurs écus *.
Un jour, que * celui-ci, plein du jus de la treille *,
Avait laissé ses sens au fond d’une bouteille *, 10
Sa femme l’enferma dans un certain * tombeau.
Là, les vapeurs du vin nouveau
Cuvèrent à loisir. A son réveil, il treuve *
L’attirail de la mort à l’entour * de son corps :
Un luminaire 5, un drap des morts ®. 15
— « Oh ! dit-il, qu’est-ce * ci ? Ma femme est-elle Veuve ? »
Là-dessus, son épouse, en habit d’Alecton *,
Masquée, et, de sa voix contrefaisant le ton,
Vient au prétendu mort, approche de sa bière,
Lui présente un chaudeau * propre * pour Lucifer *. 20
L’époux alors ne doute en aucune manière
Qu’il ne soit citoyen * d’enfer.
— « Quelle personne es-tu? dit-il à ce fantôme *.
— La celerière * du royaume
De Satan, reprit-elle ; et je porte à manger 25
A ceux qu’enclôt * la tombe noire *. »
Le mari repart sans songer * :
— « Tu ne leur portes point à boire ? »
Exercice complémentaire. — Racontez cette fable dans le style
des fabliaux en prose.
8. — LA GOUTTE ET L’ARAIGNÉE *
Sources. — Nicolas Gerbel : Æsopi vita et fabulœ (1535) ;
Haudent.
Intérêt. — Il s’agit, ici, moins d’une fable que d’un de ces
contes fantaisistes qui expliquent à leur manière l’origine des
choses. Voir VAigle et l'Escarbot, II, 8.
*
3. Détermination, 29, g. — 4. C’est-à-dire : ne sont pas arrivés à
la moitié de leur vie. — 5. Luminaire : l’ensemble des cierges disposés
pour une cérémonie. — 6. Grand drap noir qu’on dispose sur la
bière.
LES FABLES DE LA FONTAINE. 6