Page 164 - Les fables de Lafontaine
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160 FABLES. — LIVRE TROISIÈME
Quand l’Enfer eut produit * la Goutte * et l’Araignée * :
— « Mes filles, leur dit-il, vous pourrez vous vanter
D’être, pour l’humaine lignée *,
Également à redouter.
Or, avisons aux lieux qu’il vous faut habiter1. 5
Voyez-vous ces cases * étrètes *,
Et ces palais si grands, si beaux, si bien dorés ?
Je me suis proposé d’en faire vos retraites.
Tenez donc, voici deux bûchettes 2 ;
Accommodez *-vous ou tirez. 10
— Il n’est rien, dit l’Aragne *, aux * cases * qui me plaise. »
L’autre, tout au rebours, voyant les palais pleins
De ces gens nommés médecins,
Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aise.
Elle prend l’autre lot, y plante le piquet3, 15
S’étend à son plaisir * sur l’orteil d’un pauvre homme,
Disant : « Je ne crois pas qu’en ce poste je chôme *,
Ni que, d’en déloger et faire mon paquet *,
Jamais Hippocrate * me somme. »
L’Aragne, cependant, se campe en un lambris *, 20
Comme si, de ces lieux, elle eût fait bail à vie *,
Travaille à demeurer * : voilà sa toile ourdie *,
Voilà des moucherons * de pris.
Une servante vient balayer tout l’ouvrage *.
Autre toile tissue *, autre coup de balai ; 25
Le pauvre bestion * tous les jours déménage.
Enfin, après un vain essai *,
Il va trouver la Goutte. Elle était en campagne *,
Plus malheureuse mille fois
Que la plus malheureuse Aragne. 30
Son hôte la menait tantôt fendre du bois,
Tantôt fouir *, houer *. Goutte bien tracassée *
Est, dit-on, à demi-pansée *.
— « Oh! je ne saurais * plus, dit-elle, y résister!
Changeons, ma sœur l’Aragne. » Et l’autre, d’écouter *. 35
1. Qu’il faut que vous habitiez. — 2. Pour tirer au sort. — 3. Planter
le piquet (de la tente) : s’installer. ' L’autre lot, ce sont les cases, les
cabanes des pauvret.