Page 161 - Les fables de Lafontaine
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L’AIGLE, LA LAIE ET LA CHATTE 157
pellera, d’ailleurs, que le trait dominant du caractère de La Fon
taine était peut-être la sincérité.
L’Aigle avait ses petits au haut d’un arbre creux1,
La Laie * au pied, la Chatte entre les deux,
Et, sans s’incommoder *, moyennant ce partage,
Mères et nourrissons faisaient leur tripotage * 1.
2
La Chatte détruisit, par sa fourbe *, l’accord. 5
Elle grimpa chez l’Aigle et lui dit : « Notre mort,
Au moins de nos enfants 3, car c’est tout un * aux mères,
Ne tardera, possible *, guères *.
Voyez-vous à nos pieds fouir * incessamment
Cette maudite Laie, et creuser une mine * ? 10
C’est pour déraciner le chêne assurément,
Et de nos nourrissons attirer la ruine *.
L’arbre tombant, ils seront dévorés 4,
Qu’ils s’en tiennent pour assurés *!
S’il m’en restait un seul, j’adoucirais ma plainte. » 15
Au partir de ce lieu qu’elle remplit de crainte,
La perfide descend tout droit
A l’endroit
Où la Laie était en gésine *.
— « Ma bonne amie et ma voisine, 20
Lui dit-elle tout bas, je vous donne un avis :
L’Aigle, si vous sortez, fondra sur vos petits.
Obligez-moi de 5 n’en rien dire,
Son courroux tomberait sur moi. »
Dans cette autre famille ayant semé l’effroi, 25
La Chatte en son trou se retire.
L’Aigle n’ose sortir ni pourvoir aux besoins
De seg petits ; la Laie encore moins.
Sottes de ne pas voir que le plus grand des soins,
Ce doit être celui d’éviter la famine. 30
A demeurer chez soi l’une et l’autre s’obstine 6
1. Les aigles ne pondent pas dans les arbres, mais dans les rochers. —
2. Entrée en matière descriptive, 26, b. — 3. Au moins (la mort) de
nos enfants. Ellipse, 23, m. — 4. Par la Laie. — 5. Ayez l’obligeance de.
— 6. Accord, 29, a.