Page 157 - Les fables de Lafontaine
P. 157

LE LOUP DEVENU BERGER             1S3

       Un Loup qui commençait d’avoir petite part *
              Aux brebis de son voisinage1
       Crut qu’il fallait s’aider de la peau du renard2
              Et faire un nouveau personnage *.
      Il s’habille en berger, endosse un hoqueton *,   5
              Fait sa houlette d’un bâton
              Sans oublier la cornemuse *.
              Pour pousser jusqu’au bout la ruse,
      Il aurait volontiers écrit sur son chapeau :
      « C’est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau. » io
              Sa personne étant ainsi faite,
      Et ses pieds de devant posés sur sa houlette 3,
      Guillot le sycophante * approche doucement.
      Guillot, le vrai Guillot, étendu sur l’herbette,
             Dormait alors profondément.             15
      Son chien dormait aussi, comme aussi sa musette * ;
      La plupart des brebis dormaient pareillement.
             L’hypocrite les laissa faire
      Et, pour pouvoir mener vers son fort * les brebis,
      Il voulut ajouter la parole aux habits,        20
             Chose qu’il croyait nécessaire.
             Mais cela gâta son affaire :
      Il ne put, du pasteur, contrefaire la voix.
      Le ton dont il parla fit retentir les bois
             Et découvrit tout le mystère *.         25
             Chacun se réveille à ce son,
             Les brebis, le chien, le garçon •.
             Le pauvre Loup, dans cet esclandre *,
             Empêché par son hoqueton *,
             Ne put ni fuir ni se défendre.          30
      Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre.
             Quiconque est loup, agisse4 en loup.
             C’est le plus certain de beaucoup.
        Exercice complémentaire. — Racontez la scène du massacre
      du Loup par le troupeau brusquement réveillé.
       1.  Parce qu’il devenait vieux. — 2. Au figuré : adopter les ruses
      du renard. — 3. Le loup marche debout sur .les pattes de derrière
      et s’appuie sur sa houlette en posant dessus ses pattes de devant. —
      4. Subjonctif sans que, 30, a.
   152   153   154   155   156   157   158   159   160   161   162