Page 158 - Les fables de Lafontaine
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«54 FABLES. — LIVRE TROISIÈME
4. — LES GRENOUILLES QUI DEMANDENT UN ROI
Sources. — Ésope ; Phèdre ; Anonyme ; Corrozet; Haudent.
Intérêt. — Fable politique, développant cette idée directrice
que, en politique, tout changement (toute nouvelleté, disait Mon
taigne), est une aggravation de maux. La fable est excellente :
i. par la composition, qui en fait une comédie pleine de mouve
ment ; 2. par la peinture pittoresque et vivante des grenouilles,
vrai portrait-charge du peuple éternellement mécontent. La
fable 8 du livre VI : Le Vieillard et l’Ane, dit à peu près le contraire.
Les Grenouilles, se lassant
De l’état • démocratique,
Par leur clameur, firent tant
Que Jupin * les soumit au pouvoir monarchique.
Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique. 5
Ce roi fit toutefois un tel bruit en tombant
Que la gent * marécageuse,
Gent fort sotte et fort peureuse,
S’alla cacher1 sous les eauît,
Dans les joncs, dans les roseaux, 10
Dans les trous du marécage,
Sans oser de longtemps regarder au visage
Celui qu’elles croyaient être un géant nouveau.
Or, c’était un soliveau2
De qui la gravité 3 fit peur à la première 15
Qui, de le voir s’aventurant,
Osa * bien quitter sa tanière *.
Elle approcha, mais en tremblant.
Une autre la suivit, une autre en fit autant ;
Il en vint une fourmilière ; 20
Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu’à sauter sur l’épaule du roi.
Le bon sire * le souffre et se tient toujours coi.
Jupin * en a bientôt la cervelle rompue :
— « Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue. » 25
1. Complément de l’infinitif, 29, d. — 2. Soliveau, petite solive,
c’est-à-dire petite poutre. —- 3. Allusion, 23, e.