Page 155 - Les fables de Lafontaine
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LES MEMBRES ET L’ESTOMAC 151
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2. — LES MEMBRES ET L’ESTOMAC
Sources. — Ésope ; Abstémius ; Haudent. Tite-Live raconte
l’intervention de Ménénius Agrippa au livre II, ch. 32. Voir encore
Rabelais, III, 3 et 4.
Intérêt. — Fable de philosophie politique, développant ce
lieu commun que le pouvoir, royal ou autre, maintient l’ordre
et la vie dans la communauté. Le ton est didactique avec appli
cation ; nous sommes loin de la vie exubérante de Rabelais.
Je devais * par la royauté
Avoir commencé mon ouvrage.
A la voir d’un certain côté,
Messer * Gaster1 en est l’image :
S’il a quelque besoin, tout le corps s’en ressent. 5
De travailler pour lui, les membres se lassant1,
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Chacun d’eux résolut de vivre en gentilhomme *,
Sans rien faire, alléguant l’exemple de Gaster.
— « Il faudrait, disaient-ils, sans nous, qu’il vécût d’air.
Nous suons, nous peinons comme bêtes de somme ; 10
Et pour qui ? pour lui seul ; nous n’en profitons pas.
Notre soin * n’aboutit qu’à fournir * ses repas.
Chômons *! c’est un métier qu’il veut nous faire apprendre. »
Ainsi dit, ainsi fait. Les mains cessent de prendre,
Les bras d’agir, les jambes de marcher. 15
Tous dirent à Gaster qu’il en allât chercher3.
Ce leur fut une erreur 4 dont ils se repentirent :
Bientôt, les pauvres gens tombèrent en langueur ;
Il ne se forma plus de nouveau sang au cœur.
Chaque membre en souffrit, les forces se perdirent. 20
Par ce moyen, les mutins virent
Que celui qu’ils croyaient oisif et paresseux
A l’intérêt * commun contribuait plus qu’eux.
1. Messer Gaster est une expression empruntée à Rabelais, pour
désigner et personnifier l’estomac. — 2. Participe absolu, 29, n. —
3. Qu’il allât chercher la nourriture. — 4. Ce (cette conduite) leur
(pour eux, les membres) fut une erreur.