Page 154 - Les fables de Lafontaine
P. 154
15° FABLES. — LIVRE TROISIÈME
Un quidam • les rencontre et dit : « Est-ce la mode
Que baudet aille à l’aise, et meunier s’incommode * ? 70
Qui, de l’âne ou du maître, est fait pour se lasser?
Je conseille à ces gens de le faire enchâsser *.
Ils usent leurs souliers et conservent leur âne!
Nicolas au rebours : car, quand il va voir Jeanne17,
Il monte sur sa bête, et la chanson le dit. 75
Beau trio de baudets! » Le meunier repartit :
— « Je suis âne, il est vrai ; j’en conviens, je l’avoue.
Mais que dorénavant on me blâme, on me loué,
Qu’on dise quelque chose ou qu’on ne dise rien,
J’en veux faire à ma tête. » Il le fit et fit bien. 80
Quant à vous, suivez Mars * ou l’Amour * ou le prince *,
Allez, venez, courez, demeurez en province,
Prenez femme, abbaye, emploi, gouvernement18
Les gens en parleront, n’en doutez nullement. »
Exercice complémentaire. — Composez une lettie de La Fon
taine à Maucroix, datée de 1647, pour engager celui-ci à embrasser
la carrière de son choix, sans souci du « qu'en dira-t-on ».
17. Allusion à une chanson du temps :
« Adieu, cruelle Jeanne ;
Si vous ne m’aimez pas
Je monte sur mon âne
Pour galoper au trépas.
— Courez, ne bronchez pas,
Nicolas ;
Surtout, n’en revenez pasl »
18. Prendre femme : se marier; prendre abbaye : se faire donner
un « bénéfice » ecclésiastique ; prendre emploi : acheter un brevet d’offi
cier à l’armée ; prendre gouvernement : se faire nommer gouverneur
d’une ville ou d’une province, au nom du roi. Ce sont là à peu près
toutes les situations possibles pour un gentilhomme.