Page 171 - Les fables de Lafontaine
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LA FEMME NOYÉE                167

              Autrefois, Procné * l’hirondelle,
              De sa demeure * s’écarta
              Et loin des villes s’emporta *
       Dans un bois où chantait la pauvre Philomèle *.
       — « Ma sœur, lui dit Procné, comment vous portez-vous ? 5
       Voici tantôt mille ans que l’on ne vous a vue1.
       Je ne me souviens point que vous soyez venue,
       Depuis le temps de Thrace 2, habiter parmi nous.
              Dites-moi, que pensez-vous faire ?
       Ne quitterez-vous point ce séjour solitaire ?   10
       —  Ah! reprit Philomèle, en est-il de plus doux? »
       Procné lui repartit : « Eh quoi ! cette 3 musique,
              Pour ne chanter qu’aux animaux 4,   >■
              Tout au plus à quelque rustique * ?
       Le désert * est-il fait pour des talents si beaux?   15
       Venez faire aux * cités éclater * leurs merveilles.
              Aussi bien, en voyant les bois,
       Sans cesse, il vous souvient que Térée *, autrefois,
              Parmi des demeures * pareilles
       Exerça sa fureur sur vos divins appas *.      20
       —  Eh! c’est le souvenir d’un si cruel outrage *
       Qui fait, reprit sa sœur, que je ne vous suis pas :
              En voyant les hommes, hélas!
              Il m’en souvient bien davantage. »
        Exercice complémentaire. — Récrivez cette fable en accentuant
      fortement ses couleurs romantiques.


                   16.  — LA FEMME NOYÉE

        Sources. — Faërne ; Verdizotti.
        Intérêt. — Conte satirique contre les femmes. Tout le sel
       est dans la riposte finale, dont La Fontaine reconnaît que c’est
       « une raillerie assez hors de saison ». On trouve déjà ce conte dans
        1. Rien n’est moins romantique que cette amorce de dialogue. Procné
       est un classique habitant des villes. — 2. Avant leur métamorphose ;
       voir Térée *. — 3. Cette a le sens emphatique : une aussi belle musique
       que la vôtre...— 4. Cette musique (ne serait que) pour... Ellipse, 23, m.
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