Page 148 - Les fables de Lafontaine
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144 FABLES. — LIVRE DEUXIÈME
Une histoire des plus gentilles * 5
Et qui pourra plaire * au lecteur.
Un certain • homme avait trois filles,
Toutes trois de contraire humeur • :
Une buveuse, une coquette,
La troisième avare * parfaite. 10
Cet homme, par son testament,
Selon les lois municipales2 3
,
Leur laissa tout son bien * par portions égales,
En donnant à leur mère tant *,
Payable quand chacune d’elles 15
Ne posséderait plus sa contingente part3.
Le père mort, les trois femelles *
Courent au testament, sans attendre plus tard.
On le lit ; on tâche d’entendre *
La volonté du testateur, 20
Mais en vain ; car, comment comprendre
Qu’aussitôt que chacune * sœur
Ne possédera plus sa part héréditaire,
Il lui faudra payer sa mère?
Ce n’est pas un fort bon moyen 25
Pour payer, que d’être sans bien *.
Que voulait donc dire le père?
L’affaire est consultée *, et tous les avocats,
Après avoir tourné le cas *
En cent et cent mille manières, 30
Y jettent leur bonnet *, se confessent vaincus
Et conseillent aux héritières
.
De partager le bien *, sans songer au surplus i *
Quant à la somme de la veuve,
— « Voici, leur dirent-ils, ce que le conseil * treuve * : 35
Il faut que chaque sœur se charge, par traité 6
Du tiers, payable à volonté,
2. Municipales : propre à la ville où la chose se faisait, Athènes. —
3. Contingente, terme juridique : la part à revenir à chaque sœur. —
4. Au surplus : au reste, c’est-à-dire aux clauses incompréhensibles
du testament. — 5. Traité : contrat régulier.