Page 137 - Les fables de Lafontaine
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L’ASTROLOGUE QUI SE LAISSE TOMBER DANS UN PUITS 133

      et que, au XVIIe siècle, les devins, devineresses et prophètes de
      tout poil abondaient. N’oublions pas que l’astrologie a toujours
      ses fervents et est toujours l’objet de discussions passionnées.
        Intérêt. — Les quatre vers du récit ne sont que l’introduction
      à une dissertation ou, comme l’on disait, à un discours contre
      l’astrologie. Dissertation morale sur le ton familier, assez sem­
      blable à une épître ou à un Essai de Montaigne ; on retrouvera
      plusieurs discours de ce genre intercalés dans les fables ; on
      comparera avec l’épître à Huet, les discours inclus dans Psyché, etc.
          Un Astrologue *, un jour, se laissa choir
          Au fond d’un puits. On lui dit : « Pauvre bête,
          Tandis qu’à peine à tes pieds tu peux voir,
          Penses *-tu lire au-dessus de ta tête ? e
      Cette aventure, en soi, sans aller plus avant,   5
      Peut servir de leçon à la plupart des hommes.
      Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes 1,
              Il en est peu qui, fort souvent,
              Ne se plaisent d’entendre dire
      Qu’au Livre du Destin * les mortels peuvent lire.   10
      Mais ce livre, qu’Homère et les siens ont chanté,
      Qu’est-ce que * le hasard parmi * l’Antiquité
              Et parmi nous la Providence ?

          Or, du hasard, il n’est point de science1.
                                           2
              S’il en était, on aurait tort          15
      De l’appeler hasard, ni fortune, ni sort,
              Toutes choses très incertaines.
              Quant aux volontés souveraines
      De Celui qui fait tout, et rien3 qu’avec dessein *,
      Qui les sait que * lui seul ? Comment lire en son sein ? 20
      Aurait-il imprimé sur le front 4 des étoiles
      Ce que la nuit des temps * enferme dans ses voiles ?
        1.  Vers pénible : parmi tous les hommes qui sont sur la terre. —
      2. En réalité, il existe une science du hasard: le calcul des probabilités,
      fondé par Pascal quelques années avant le moment où La Fontaine écrit,
      et dont les applications pratiques sont importantes, notamment pour
      les Assurances. —• 3. Rien qu’avec dessein : toujours avec une intention
      précise. C’est l’affirmation du finalisme universel, répondant à la foi en
      la Providence. — 4. Le front des étoiles : sur la surface de la voûte étoilée.
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